Chroniques

par laurent bergnach

Wolfgang Amadeus Mozart
Die Zauberflöte| La flûte enchantée

1 DVD Arthaus Musik (2004)
101 085
production du Festival de Glyndebourne (1978)

Directeur d'une compagnie théâtrale, acteur lui-même, Emmanuel Johan Schikaneder eût l'accord de son ami Mozart pour composer la musique d'une pièce pour marionnettes. Il avait retenu l'histoire, parue dans un recueil de contes orientaux, d'un mauvais sorcier enlevant sa fille à la Reine de la Nuit. Mais durant la conception du livret, un autre théâtre viennois monta une pièce sur un sujet analogue, et le succès fut tel que Schikaneder dû remanier le canevas original. Si bien que Sarastro n'est plus le méchant de l'histoire – mais un homme sage qui cherche à éclairer son prochain – et que la Reine est peut-être une transposition de Marie-Thérèse, qui s'était attaqué aux loges maçonniques d'Autriche d'une main de fer. Ce changement de cap explique sans doute les quelques incohérences du livret, mais le message est délivré : d'un chaos soumis à l'obscurantisme (présence de dragon et de génies dès l'introduction) va naître, avec le courage de résister aux tentations du mensonge, de l'hypocrisie et d'un hédonisme paresseux, un monde solaire voué à la raison. Mozart travaille à sa partition une grande partie de l'année 1791 et la première a lieu au Theater an der Wien, le 30 septembre.

Ayant déjà collaboré aux productions d'Ubu Roi (1966) et de The Rake's Progress (1974), David Hockney n'est pas novice dans la conception de décors. Les disciples de Sarastro vouant un culte à Isis et Osiris, le peintre a pu rendre compte ici de sa propre fascination pour l'Egypte, et les pyramides récurrentes des différents tableaux rappellent que c'est bien dans ce pays que se situe l'action comme il souligne la structure très hiérarchisée de l'Ordre des Illuminés auquel appartenait Mozart. Cependant, sa collaboration avec le metteur en scène John Cox n'a pas donné un résultat aussi fluide que pour leur précédent travail sur Stravinsky : problème de réflexion commune dû d'abord à l'éloignement puis à des divergences d'analyse de l'œuvre, costumes que Hockney n'a pas pu concevoir en accord avec ses tableaux, etc. On pourra juger des préparatifs de cette production du Festival de Glyndebourne (1978) grâce aux photos que le film fait défiler sur la musique de l'ouverture (ah, ces pinceaux dans une boite Campbell…) et s'informer de tous les détails de sa conception visuelle dans une brochure très détaillée.

La distribution réserve de bonnes surprises : Leo Goeke (Tamino) possède un vrai physique de prince et une délicatesse de chant appréciable chez un ténor ; Felicity Lott (Pamina) a une aisance de jeu et une qualité de chant qui en font une soprano toujours très attachante ; Benjamin Luxon (Papageno) maîtrise une voix chaude et une fantaisie qui apportent beaucoup au spectacle – grâce à lui, on rit souvent, sauf au moment de son adieu à la vie, dans un climat quasiment schubertien. N'oublions pas May Sandoz (la Reine), crédible dans sa scène de vengeance ; John Fryatt (Momostatos), ténor bouffe très alerte et Willard White (le Narrateur), à la belle voix de basse. Dirigeant le London Philharmonic Orchestra, Bernard Haitink hésite souvent entre une tonicité sans nuances et une solennité assez poussive.

LB