Chroniques

par laurent bergnach

Wolfgang Amadeus Mozart
Don Giovanni | Don Juan

2 DVD Arthaus Musik (2012)
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Wolfgang Amadeus Mozart | Don Giovanni

Alors que sa création au Burgtheater de Vienne, le 1er mai 1786, n’est suivie que de huit représentations, Le nozze di Figaro remporte un vif succès à Prague, au mois de janvier suivant. C’est l’occasion pour Mozart de signer un contrat avec le Théâtre du comte Nostitz (depuis appelé Théâtre Tyl ou Théâtre des États) et de poursuivre sa collaboration avec Lorenzo da Ponte. Celui-ci convainc le musicien de s’intéresser à un sujet qui manque un peu de fraîcheur et puise à plusieurs sources pour son livret (Molina, Molière, Bertati, etc.). Mozart y travaille tout l’été à Vienne mais, pris par les mondanités praguoises à partir de la mi-septembre, tarde à l’achever. La création de Don Giovanni est donc repoussée du 14 au 29 octobre et l’Ouverture, comme celle des Noces, probablement achevée la veille de la première – « Mozart rentre très tard des répétitions, accablé de fatigue. Il tombe de sommeil. Pour se tenir éveillé, il demande à sa femme de lui préparer un punch et de lui raconter des contes, comme La lampe d’Aladin ou Cendrillon qui le font rire aux larmes » (in Le charme opéra, Éditions Jean-Michel Place, 2005).

Ouvert au public en 1912, devenu quelque temps Städtische Oper (Opéra municipal) à partir de 1925 et finalement ruiné par la Seconde Guerre mondiale en 1943, la Deutsche Opernhaus cède la place à la Deutsche Oper Berlin. On commence sa construction en 1957, dans le quartier de Charlottenburg qui se situerait bientôt à l’ouest du Mur sinistre achevé quelques semaines avant l’inauguration du 24 septembre 1961. Filmée la veille de cette fête de l’art gâchée par la politique, c’est donc la générale du célèbre dramma giocoso en deux actes, chanté dans la langue nationale et mis en scène dans un monde rococo par Carl Ebert – un des promoteurs du Glyndebourne Festival, faisant alors ses adieux au théâtre –, qu’Arthaus propose aujourd’hui.

Si le regretté Dietrich Fischer-Dieskau incarne avec magnificence son rôle de prédateur, on est cependant régulièrement déçu par des récitatifs livrés avec une certaine vulgarité et certains airs largement braillés (Auf denn zum Feste, n°11). Sonore, Walter Berry (Leporello) possède une grande longueur de souffle, tandis qu’Ivan Sardi (Masetto) livre un chant des plus fermes et Josef Greindl (Commandeur) l’un des plus faux. Comme pour Die heimliche Ehe évoqué le mois dernier dans cette même collection [lire notre critique du DVD], Donald Grobe (Don Ottavio) a notre préférence : ténor solide et très impacté, cet artiste trop tôt disparu enchante par sa lumière, sa finesse et son incroyable souplesse (exquis Nur ihrem Frieden weih’ich mein Leben, n°10).

Côté féminin, mis à part la Zerlina pincharde et tremblante d’Erika Köth, on se réjouit de la présence d’Elisabeth Grümmer (Donna Anna) et de Pilar Lorengar (Donna Elvira). La première conduit à la perfection un chant agile, chaleureux et extrêmement nuancé ; la seconde impose charisme, puissance et couleur. Reste à évoquer Ferenc Fricsay. Outre qu’il est à l’origine du nom de la salle berlinoise dont la fosse peut contenir désormais une centaine de musiciens, le chef hongrois offre un travail très ciselé qui permet d’apprécier un ouvrage à la jubilation tragique, sans raideur, pathos ni complaisance – « sur la braise », comme qui dirait.

LB