Recherche
Chroniques
Wolfgang Amadeus Mozart
airs de concert et d’opéra
Étrange objet que ce récital mozartien livré au disque par Karina Gauvin… À la suite des ses albums Purcell (avec Les Boréades dirigé par Francis Colpron), Händel (avec Tempo Rubato dirigé par Alexander Weimann) et Porpora (avec Il Complesso Barocco dirigé par Alan Curtis), le soprano canadien retrouve l’ensemble québécois Les Violons du Roy et son chef Bernard Labadie pour un parcours d’un peu plus d’une heure dans l’œuvre de l’illustre Salzbourgeois.
On prend beaucoup de plaisir à l’écoute du travail d’orchestre, puisque Labadie et ses musiciens ont mitonné un Mozart aussi tendre qu’énergique et respiré avec générosité, se démarquant ainsi de la plupart des « baroqueux » qui trop souvent s’ingénient à le désosser lamentablement. Deux Ouvertures d’opéras relativement rares viennent confirmer ce que les trois premiers airs au programme laissaient entendre : une sonorité clairement marquée par l’héritage baroque, une conscience active du génie qu’il s’agit d’interpréter, enfin un élan personnel qui force l’adhésion. Celle de La clemenza di Tito n’écorche pas le mobilier à la façon d’un Harnoncourt, par exemple, et jouit au contraire d’une expressivité toujours en alerte, ici conjuguée à la rigueur de ton de mise. Bref, on situera cette belle approche, très vivante, dans la famille des Bolton. Si la Clemenza est plus ou moins présente à la scène, que dire du malheureux et magnifique Lucio Silla (1772) ? Voilà pourtant un ouvrage de jeunesse qui mérite largement les feux de la rampe, mais qu’idiotement l’on délaisse à la faveur de la sempiternelle Zauberflöte ou des incontournables « da-ponterie »… La ciselure du mouvement central de cette Sinfonia à l’ancienne est sensiblement accentuée, quand la troisième section brille de contrastes puissants, jusqu’à la richesse inouïe de la résonnance finale.
Deux arie da concerto ponctuent le CD. Le peu d’engagement vocal dans Non temer amato bene K.505 frise le non-sens – le livret dit des choses comme « stelle barbare, stelle spiatate ! », tout de même –, alors que le pianofortiste vous en raconte plus ! Misera, dove son, le récitatif de Non son’io che parlo K.369, est terriblement maniéré ; l’air lui-même accuse ensuite des attaques peu sûres et une nuance à encéphalogramme plat. Peu à peu, la chanteuse déroge à cette froideur dont elle semble s’être fait un devoir, sans pour autant convaincre.
Au fil de six extraits d’opéras, la voix et l’art de Karina Gauvin pourraient bien dénoncer le trop de cas qu’ici et là l’on en fait. D’un timbre finalement assez banal, elle miaule les attaques piano aiguës d’Aer tranquillo (Il re pastore) dont par ailleurs l’ornementation s’avère irréprochablement réalisée. Non più di fiori (Vitellia, deuxième acte de La clemenza di Tito) ennuie. D’une justesse des plus aléatoires et d’un Deutsch incompréhensible, Ach, ich fühl’s (Pamina, Die Zauberflöte, Acte I) est oublié aussitôt.
Da Ponte, disais-je… retour aux grands classiques avec Susana (Le nozze di Figaro, Acte IV) : uniquement technique, Deh vieni, non tardar’ laisse de marbre. Enfin deux passages de Così fan tutte dont l’un révèle le peu d’affinité de la dame avec la vis comica (Despina ne lui va décidément pas du tout), et l’autre laisse pantois : Karina Gauvin est incroyablement impliquée dans un Come scoglio immoto resta (Fiordiligi, premier acte) agile, bien mené, dramatique, avec un grave décoiffant. Il était temps : c’est la neuvième plage sur dix !
Les Violons du Roy signent une nuance délicieuse aux Nozze, d’un luxueux moelleux. Saluons-en la qualité des bois. Bonheur de cette formation dans Die Zauberflöte, mais encore dans La clemenza et son remarquable cor de basset, sans oublier la positive préciosité à l’œuvre dans Così. Applaudissons Benedetto Lupo dans l’étonnante partie de pianoforte de l’air de concert K.505, coloré en concerto pour clavier. Un disque d’orchestre, donc !
KO