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Chroniques
Wolfgang Amadeus Mozart
Lucio Silla
Lucio Silla est présenté pour la première fois le 26 décembre 1772, au Teatro Regio Ducal (Milan) qui accueillit déjà Mitridate, re di Ponto (1770) et Ascanio in Alba (1771). Ses mots sont ceux de Giovanni de Gamerra, ancien militaire épaulé par Métastase ; ses notes celles d’un jeune génie nommé Mozart (1956-1791), à la veille de ses dix-sept ans. Comme souvent, c’est la correspondance familiale qui nous éclaire sur la rapide gestation de l’ouvrage, en l’occurrence les courriers adressés à Anna Maria par Leopold – dont c’est le troisième séjour italien avec son fils (octobre 1772-mars 1773) :
« Le personnel de l’opéra se complète peu à peu. La signora Suarti, qui joue le rôle de deuxième uomo, est arrivée. Wolfgang ne manque pas d’occupation. Il a trois chœurs à composer et à refaire les récitatifs, lesquels ont été modifiés par Métastase à Vienne. Une grande scène dans le deuxième acte et l’ouverture sont déjà prêtes (14 novembre). Notre première cantatrice, de Amicis, est arrivée hier. Le primo uomo est déjà rendu depuis quelque temps, il se nomme Rauzzini, aussi Wolfgang à beaucoup à faire – ce que confirme l’intéressé en post-scriptum, chiffrant à quatorze le nombre de morceaux restant à écrire. On est obligé de remplacer le premier ténor Cardoni, qui est malade. Le rôle de Lucio Silla exige un bon chanteur et un bon acteur, nous espérons en trouver un avec un physique convenable. Mais la musique pour ce rôle n’est pas encore composée (5 décembre). Demain aura lieu la première représentation avec l’orchestre. Le ténor est arrivé, et Wolfgang a déjà composé deux airs pour lui (18 décembre). Ce soir la première représentation ; que Dieu nous accorde sa grâce. Nous avons bon espoir car la première répétition a très bien marché. Mais l’opéra est long, il dure quatre heures sans les ballets (26 décembre). Malgré différents incidents (le premier d’avoir commencé plus tard), l’opéra a réussi. […] Tous les soirs, il y a chambrée pleine, et à la septième représentation, il ne restait plus une place disponible… (3 janvier 1773) ».
Filmée à la Scala en mars 2015, cette production s’éloigne d’une Rome préchrétienne, mise en scène par Marshall Pynkoski, spécialiste de l’opéra du XVIIIe siècle et de la gestuelle baroque. Située à l’époque de la création, elle favorise toiles peintes fort variées (Antoine Fontaine aux costumes et décors) et chorégraphie omniprésente (Jeannette Lajeunesse Zingg), jusque chez les chanteurs. Loin de tout réalisme psychologique, ces derniers font accepter ainsi l’artifice de la roucoulade, convention essentielle de l’opera seria. Cependant, avouons que le spectacle piétine à mesure qu’il avance.
Passons vite sur la direction sans allant ni esprit de Marc Minkowski (tempo alangui, solennité plombée, etc.), lequel plonge Mozart dans une banalité idéale pour Offenbach, et intéressons-nous aux magnifiques chanteurs. Krešimir Špicer possède un capital sympathie rendant crédible un rôle-titre qui renonce au mal. Son timbre un rien enroué n’éclipse pas la beauté d’un ténor ample, moelleux et nuancé. Sa sœur Celia trouve en Giulia Semenzato belle couleur et aisance vocales (Quando sugl’arsi campi), sans parler de la drôlerie. Lenneke Ruiten (Giunia) séduit par sa souplesse qui fait de l’air Ah se il crudel periglio un sommet de virtuosité et d’expressivité. Inga Kalna (Cinna) mérite aussi des éloges, à considérer la sûreté de ses attaques et vocalises, une tonicité qui n’oublie pas d’être onctueuse. Moins à l’aise avec les conventions, Marianne Crebassa (Cecilio) manque souvent de fluidité, sans toutefois démériter.
LB