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Chroniques
Wolfgang Amadeus Mozart
Die Entführung aus dem Serail | L’enlèvement au sérail
« Der große Baumeister hat deine schöne Konstanze entführt. » Au cœur du troisième et dernier acte, voilà le fin mot de l'histoire (à l'intention du Pacha Sélim : « le brillant architecte a enlevé ta belle Constance ! »), qui revient bien au gardien du palais, Osmin.
Si L'enlèvement au sérail s'avère un chef-d’œuvre du Singspiel, l'essentiel de sa grande réussite réside dans l'humanité de ce grossier personnage d'ogre turc, brave geôlier, musulman plutôt fidèle à son bon plaisir... C'est du moins sa figure canaille vieillie qui ressort avant tout d'un nouveau disque élégant, enregistré l'été dernier au Théâtre des Champs-Élysées où le treizième opéra de Mozart était donné en version de concert.
Quel appétit à dévorer Belmonte dans l'exquis premier duo d'un comique absurde et fabuleux ! Quelle puissance à refermer l’Acte I dans l'amusement le plus exemplaire (la scène über die Schwelle, ou par la porte) ! Quelle joie d'opéra, par-delà le Singpspiel par excellence, dans l'ultime air d'Osmin, le remuant O, wie will ich triumphieren, par une vraie vocalise en forme de plaisanterie fantastique... Chanteur apprécié à travers la France [lire nos chroniques du 17 janvier 2014, du 7 mai 2013, du 11 mars 2011 et du 23 mars 2007, entre autres], la basse Micha Schelomianski maîtrise le rôle et, avec la complicité tonique du chef Jérémie Rhorer et son Cercle de l'Harmonie, en fait le pilier original d'un Enlèvement de fête, décapant et mutin, au verbe enfantin, serré, bouclé et enfin soufflé tel un gâteau d'anniversaire par l'ensemble lyonnais Aedes, idéal chœur de janissaires [lire notre critique du CD]. Sur son passage, la tornade Osmin trouve aussi deux brillants ténors : le soupirant Belmonte, à l'ardeur parfaite, de Norman Reinhardt [lire notre chronique du 25 mai 2012] et David Portillo en valet Pedrillo, au prodigieux petit air Frisch zum Kampfe! où se manifestent l'héroïsme et ses failles, dans l'esprit humaniste de Mozart [lire notre chronique du 12 juillet 2014]. Elle veut commander à tout sauf à la subjectivité, la gourmandise et au goût immodéré du plaisir lyrique immédiat.
Ainsi à la morale un peu surgelée du finale (à bas la vengeance), bien que soulignée d'accents sincères par l'orchestre, et à l'allégresse des amants convaincus par-delà la mort de l’issue forcément heureuse (victoire du pardon sur la jalousie), on peut préférer la géniale expression des doutes du cœur dans le faramineux quatuor, astral, en fin d'Acte II, mais aussi trouver l'amour le plus vrai dans l'air Durch Zärtlichkeit und Schmeicheln par le soprano Rachele Gilmore, Blonde au chant signé de superbes vocalises, celui d'une cantatrice et d'une femme libérée [lire notre chronique du 14 juin 2010]. L'unanimité s'impose même catégoriquement, tel le délicieux tyran paresseux Osmin, pour élever en monument lyrique l'air Martern aller Art (II). Emportée et suppliante dans ce modèle musical d'équilibre et de concentration, le soprano néo-écossais Jane Archibald, Konstanze déjà saluée sur les scènes françaises [lire notre chronique du 26 juin 2016], semble demi-déesse, touchée par la grâce mozartienne. Laissons parler le miroir, le reflet mentir, dans un voluptueux culte de la personnalité.
FC