Chroniques

par françois cavaillès

Wolfgang Amadeus Mozart
Il re pastore | Le roi berger

1 coffret 2 CD Signum Classics (2015)
SIGCD 433
Ian Page joue Il re pastore (1775), opéra de jeunesse de Mozart

Sur l'ambitieux parcours chronologique Mozart de la compagnie anglaise Classical Opera, bien partie depuis 2012 pour enregistrer un à un les vingt opéras du Salzbourgeois et en diffuser un disque par an [lire notre critique du CD Mitridate], voici Il re pastore, œuvre en deux actes née en 1775 sous le signe de la jeunesse, puisque le compositeur en signe la musique à l'âge de dix-neuf ans. Mais encore, le livret original, écrit par Métastase en 1751, était destiné aux enfants de la famille royale (Habsbourg), invités à jouer une pièce pour l'anniversaire de leur mère, l'impératrice Marie-Thérèse d'Autriche.

L'intrigue se limite donc à cinq personnages, tous juvéniles, c'est-à-dire Alexandre le Grand, au début de la vingtaine quand il vient de conquérir Sidon en Phénicie, ainsi que les deux couples d'amants contrariés : Agénor et Tamiri (la fille du tyran perse Straton évincé par Alexandre), Elise et Aminta (le berger au destin étoilé). Incroyable de poursuivre au fil d'une intrigue aussi niaise, notamment à travers les pénibles récitatifs du premier acte, les quelques traces du petit génie transcendant déjà les codes de l'opéra, et ce surtout dans les airs de félicité des soprani amoureux (avec quel bonheur le compositeur a-t-il trouvé ses muses, presque au mitan d'une vie si intense et si chaotique !)

Mélodieuse à souhait, Ailish Tynan (Elisa) accomplit l'un de ces fameux prodiges mozartiens, belle figure de haute voltige vocale dont il est coutumier, en atteignant au détour de complexes vocalises le simple lyrisme pastoral d'Alla selva, al prato, al fonte. Beaucoup de style aussi chez Anna Devin (Tamiri) chantant l'essence de Di sante sue procelle, à savoir le cœur battant de joie les tempêtes de l'âme. Maîtrise, dignité et retenue émanent de l'interprétation tout au long de l'opéra.

Comme Tamiri a hésité à partager la foi d'Agenore en Alessandro, une ambivalence typique de l'opéra en général s'accentue. On éprouve à la fois les formidables élans amoureux et les terribles forces de l'attachement aux devoirs et à la raison. C'est le sens du gracieux duo des amants Elisa et Aminta (soprano également) concluant le premier acte avec clarté.

La langue et les émotions des interprètes semblent moins confuses au second acte, plus solide d’un point de vue opératique, mais aussi plus dansant. Le rôle d'Alexandre le Grand s'est étoffé. Après un intéressant récitatif qui évoque l'humilité du roi et son sens bien mesuré de l'exercice du pouvoir, le ténor John Mark Ainsley s'y montre, en deux airs, impressionnant de puissance contenue, limpide de volonté et d'une belle noblesse d'expression. Comme ailé d'une superbe poésie élémentaire, il excelle à exprimer les transports de la conquête pour et par le bonheur dans Se vincendo vi rendo felici, l'air peut-être le plus abouti, habilement orné par les bassons et les flûtes.

Dirigé par Ian Page, The Orchestra of Classical Opera sait, sous des couleurs baroques et en jouant beaucoup sur les changements de rythme, se montrer subtil dans les principales variations attendues, par exemple entre l'urgence de l'Ouverture et la petite sérénade de la première scène. Le drame musical suit son cours de manière somme toute assez sobre de la part de Mozart. L'amerò, sarò constante (II) est l'air le plus soigné par l'orchestre, avec le meilleur apport, enfin libéré, du soprano Sarah Fox dans le rôle d'Aminta. Plus classique et profondément courtois se montre le ténor Benjamin Hulett en Agenore.

Le quintette final parachève ce Roi berger avec dynamisme, dans une petite euphorie peut-être particulièrement exquise pour les passionnés de Mozart outre-Manche, piliers du Glyndebourne Festival.

FC