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Chroniques
Wolfgang Amadeus Mozart
Le nozze di Figaro | Les noces de Figaro
Troisième et dernier volet de la Trilogie Da Ponte de Mozart, Le nozze di Figaro sont, avant tout, celles d’Yannick Nézet-Séguin, à la tête du Chamber Orchestra of Europe avec lequel il a enregistré pour Deutsche Grammophon les deux précédents opus. Le chef canadien, qui préside déjà aux destinées artistiques du Metropolitan Opera de New York, propose ici une conception intéressante de l’œuvre, dans la lignée des plus estimées baguettes, tout en intégrant les apports de la révolution baroque. En particulier, on apprécie l’utilisation d’un précieux continuo composé d’un pianoforte et d’un violoncelle baroque pour accompagner les récitatifs, prépondérants dans l’opéra. L’auditeur est tenu en haleine du début à la fin, par des sommets d’intelligence avec la partition pour le final de l’Acte II et tout le III donné dans son agencement originel. Avec lui, Le nozze di Figaro ossia La folle giornata n’a jamais autant mérité son sous-titre. Sans être dans la précipitation ni l’urgence à tout prix, Nézet-Séguin offre une intégrale ultra-complète, haletante et passionnée, jamais ennuyeuse.
Hélas, la distribution réunie pour l’occasion est très inégale, à l’exception du couple des serviteurs, superlatifs. Sur le papier, pourtant, elle laissait naître l’espoir de tenir là un trésor, jusque dans les seconds rôles luxueusement distribués en théorie. Luca Pisaroni est un Figaro exceptionnel, plein de verve, excellent chanteur et acteur, sachant ornementer ses airs alla barocca, comme le Se vuoi ballare du premier acte. Christiane Karg est délicieuse et piquante en Susanna. Elle aussi, possède l’abattage nécessaire et forme avec Pisaroni un couple idéal.
Le couple de maîtres, lui, déçoit à différents égards.
On espérait beaucoup de la Contessa de Sonya Yoncheva. C’était peut-être trop attendre du grand soprano bulgare qui, visiblement, n’a pas beaucoup d’affinités avec Mozart. Certes, la voix est belle mais très extérieure, frôlant l’indifférence et l’impavidité. En témoigne son air d’entrée du II, le fameux Porgi amor, sommet de l’ouvrage, mais rendu routinier, qui passe presque inaperçu ! L’auditeur cherche en vain le charisme, la tendresse et la souffrance de cette femme déçue, trompée et délaissée. Yoncheva réussit mieux le second air, E Susanna non vien (III), parce qu’elle est simplement plus impliquée. Elle y déploie curieusement des accents callassiens, comme le dit la notice, même si la Divina avait peu fréquenté la musique de Mozart… Le cas de Thomas Hampson en Almaviva est plus problématique. Pour sa troisième incarnation au disque, le baryton nord-américain reste d’une grande autorité mais, à bout de souffle, son instrument est usé jusqu’à la corde. De plus, il détonne douloureusement et tente de compenser ses défaillances techniques en surjouant maladroitement la brutalité.
Anne Sofie von Otter est méconnaissable en Marcellina. De cet inoubliable Cherubino ne reste malheureusement aujourd’hui que le talent d’actrice. La voix ne détonne pas trop, mais s’avère irrémédiablement détimbrée. Son air du IV, Il capro e la capretta, montre de cruelles difficultés à vocaliser, elle qui se riait auparavant de toutes les pyrotechnies. Quant au Cherubino d’Angela Brower, il est insipide et convenu. Un chant correct ne suffit pas là où les plus grands mezzos ont marqué durablement un rôle adulé du public. Quel dommage que Rolando Villazón ne se soit pas contenté de conseiller l’ensemble de ces enregistrements au lieu de s’y imposer coûte que coûte, tentant de transformer Basilio en personnage de farce incontournable ! Au premier acte, ses interventions omniprésentes des Scènes 6 à 8 sont fort agaçantes. On n’entend que lui dans un Evviva exaspérant qu’il hurle au début de la Scène 9. On imagine aisément qu’il déclenchait l’hilarité du public, depuis le plateau de la Festspielhaus Baden Baden. Hélas, il n’en va pas de même au disque. Certes, In quegli anni in cui val poco, air souvent sacrifié de l’Acte IV, est bien interprété, mais le cabotinage reste insupportable. Le Bartolo de Maurizio Muraro ne vaut guère mieux. Son fameux air unique, La vendetta, oh la vendetta, est à peine passable et détonne sérieusement. Jean-Paul Fouchécourt en Don Curzio, Philippe Sly en Antonio et Regula Mühlemann en Barberina sont parfaits dans ces seconds rôles indispensables à des Nozze réussies. Ce n’est pas suffisant pour faire de cette gravure une référence moderne capable de détrôner les nombreux enregistrements légendaires toujours disponibles.
MS