Recherche
Chroniques
Wolfgang Amadeus Mozart
Don Giovanni | Don Juan
Miroir pour chaque époque à qui il propose réflexion morale et philosophique, le mythe de Don Juan est tour à tour « exemple d’insoumis impénitent, de libertin romantique ou politique, d’amant au talent inégalé ou simplement inégalé dans le nombre de ses conquêtes amoureuses », précise William Richmond dans la notice du DVD. En somme, toujours quelque part entre l’ordure et le héros.
Chez Gabriel Téllez alias Tirso de Molina (El burlador de Sevilla y convidado de piedra, 1630), à l’origine, il est un escroc qui séduit par la tromperie ou la force – et dont le nom complet, Don Juan Tenorio, apparaît chez Pacini (1832) et Gazzaniga (1787) [lire notre chronique du 6 novembre 2015]. S’emparant du personnage, Molière peint un irrévérencieux méprisant l’hypocrisie. Et lorsque vient le tour de Byron, c’est armé d’un « visage d’ange » que son jeune loup attire les biches, sans même avoir à mentir. Dans un livret qui oscille entre drame et opera buffa, Lorenzo Da Ponte propose un personnage ni trop mûr ni théoricien, mais assurément contestataire et licencieux.
Quatre ans après un film sur ce même sujet mettant en vedette Christopher Maltman – désormais un habitué du rôle [lire notre chronique du 18 octobre 2013] –, Kasper Holten présente en février 2014, au Royal Opera House qu’il dirige depuis 2011, sa vision renouvelée du dramma giocoso de Mozart (Prague, 1787).
Don Giovanni apparaît comme un collectionneur de femmes-objets qui vont le satisfaire intimement et socialement (prestige dont est témoin Leporello, presque un ami). Celles-ci vivent différemment leur rencontre avec le séducteur, touchées ou tachées, comme l’indique leur robe (Anja Vang Kragh). Présente avant l’apparition d’une maison-labyrinthe tournant sur son axe (Es Devlin), la vidéo (Luke Halls) dévoile le monde intérieur du rôle-titre, plus scriptural que pittoresque, vivace autant que vain. En effet, quête humaine dérisoire, le tableau de chasse initial n’est d’aucun réconfort dans la solitude de l’enfer – ce qui s’appelle bâtir sur du sable.
Physiquement et vocalement, Mariusz Kwiecień est un galant assez conventionnel, peu nuancé à quelques exceptions près (Deh, vieni alla finestra). Alex Esposito (Leporello) est rondement vaillant, mais aussi parfois instable [lire notre chronique du 25 juillet 2016]. Lui aussi souvent en force, Antonio Poli (Ottavio) livre quelques notes tendues dans les airs difficiles, mais ses récitatifs sont un régal de couleur, de santé et d’évidence. Dawid Kimberg (Masetto) s’avère correct, Alexander Tsymbaliuk (Commandeur) efficace [lire nos chroniques du 30 juillet 2013 et du 23 septembre 2016].
Chez les dames, Malin Byström (Anna) offre un chant lyrique et onctueux, tandis que celui de Véronique Gens (Elvira) est particulièrement ample et engagé [lire notre chronique du 15 mars 2012]. Elizabeth Watts (Zerlina) ravit par son aisance vocale et sa drôlerie subtile [lire notre chronique du 6 février 2013]. Terminons avec le chef Nicola Luisotti qui sait être festif sans fracas – l’Ouverture est des plus paisibles –, mais manque de précision sur la plupart des ensembles, au point de faire patiner les chanteurs.
LB