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Chroniques
Wolfgang Amadeus Mozart
Idomeno, re di Creta | Idoménée, roi de Crète
Le 29 janvier 1781, le prince-électeur Karl Theodor de Bavière peut se réjouir ; selon son vœu, un opera seria signé Mozart (1756-1791) ouvre la nouvelle saison de Carnaval, au Théâtre Cuvilliés de Munich : Idomeneo, re di Creta. Peut-être songe-t-il aux mots prononcés un mois plus tôt, en riant, à l’issue d’une répétition : « on ne penserait pas que dans une si petite tête se cachent de si grandes choses » (Mozart, Lettres des jours ordinaires – 1756-1791, Fayard, 2005).
Pourtant, la conception de l’ouvrage ne fut pas une sinécure ; c’est ce que nous apprend la correspondance entre Wolfgang, arrivé à Munich après deux jours de voiture qui navrent son cher postérieur, et Leopold, son père resté à Salzbourg auprès du librettiste Giambattista Varesco (1735-1805). Ce dernier, qui s’inspire du texte écrit par Antoine Danchet pour André Campra (Idoménéé, 1712), devient la bête noire d’un musicien, certes jeune mais aguerri, qui ne cesse de se plaindre de lacunes dramaturgiques : « il n’est pas convenable que le roi soit tout seul dans le bateau » (13 novembre 1780), « les mots recherchés ou insolites, dans un air agréable, sont toujours déplacés » (5 décembre), « je trouve cela niais qu’ils se dépêchent de vite partir » (3 janvier 1781), « les paroles de l’oracle sont aussi encore bien trop longues » (18 janvier), etc. Étonnamment, malgré l’épreuve de patience que fut ce trimestre de collaboration – « j’affirme qu’il ne se serait entendu avec aucun compositeur aussi bien qu’avec moi » –, Mozart revient vers l’abbé Varesco quelque temps plus tard. De juillet à octobre 1783, il commence la mise en musique d’un opera buffa, L’oca del Cairo (L’oie du Caire), mais abandonne le projet tant la fin lui semble stupide.
Au père attentif, qui sait apaiser son enfant face à un problème de sourdine à résoudre – « les cornistes ont de tout temps su jouer piano en se servant d’un mouchoir » –, on confie aussi les déconvenues rencontrées avec certains chanteurs. Ainsi, du rôle-titre confié à un sexagénaire habitué aux aménagements vocaux, Mozart écrit : « [Anton] Raaff est une statue », « il ne jure que par les vieilles routines ». Aussi mauvais acteur que le précédent, Vincenzo Del Prato affiche, quant à lui, des insuffisances tragi-comiques : « aucune intonation – aucune méthode – aucune sensibilité », « quand le castrat vient, il faut que je chante avec lui, car il doit apprendre tout son rôle comme un enfant ».
Heureusement, la distribution madrilène de février 2019 nous épargne de tels déboires ! Si Anett Fritsch (Ilia) peut lasser par un chant étroit et maniéré, rien de tel avec sa consœur Eleonora Buratto (Elettra) qui possède chant aisé, voix longue et présence indéniable [lire nos chroniques de La bohème, Don Giovanni et Moïse et Pharaon]. Chez les quatre ténors, on aime Eric Cutler, Idomeneo au timbre corsé et à la vaillance nuancée [lire nos chroniques de Król Roger, Les Huguenots, Les Troyens, Lohengrin et Fidelio], David Portillo, Idamante clair et incisif [lire notre chronique d’Orlando paladino], de même que Benjamin Hulett, Arbace tendrement sonore [lire nos chroniques de Dialogues des carmélites, Il re pastore, Saul, Ipermestra et Die Zauberflöte], et Oliver Johnston, Grand Prêtre d’une couleur intéressante dans le grave. La basse Alexander Tsymbalyuk réhausse la présence de l’invisible Neptune. Tonique et contrasté, Ivor Bolton est en fosse avec l’Orquesta del Teatro Real.
Non, ici, la déception vient de la mise en scène. Certes, Robert Carsen analyse finement comment couple belliqueux et couple pacifiste sont pris dans une terrible sensation de déplacement – « comme si, d’une certaine manière, tous les personnages, ayant perdu leurs repères, étaient guidés par une boussole brisée par la guerre et le chagrin » (notre traduction de la notice) –, mais son travail manque d’incarnation. À vouloir fustiger la cruauté par le biais de l’épopée (une centaine de figurants, en sus des cinquante choristes préparés par Andrés Máspero), le Canadien obtient du mélomane de l’admiration pour les paysages marins projetés sur l’écran, mais un minimum d’empathie pour son quatuor d’égarés.
LB