Recherche
Chroniques
Wolfgang Amadeus Mozart
Die Entführung aus dem Serail | L’enlèvement au sérail
Du festival de Schwetzingen nous parvient un nouvel Enlèvement en DVD, enregistré il y a quinze ans (mai 1991). Pourquoi l'éditeur attendit-il si longtemps avant de le diffuser ? Autant prévenir le lecteur, le grand mérite de ce produit est de restituer la mise en scène exceptionnelle de Michael Hampe. Enfin du vrai théâtre où les chanteurs sont réellement dirigés et non laissés libres de vocaliser en faisant fi de l'intrigue ! Justement, le parti pris de Hampe est de dramatiser l'action du premier opéra-bouffe d'un Mozart de vingt-six ans, loin des turqueries habituellement de mise. Osmin est franchement méchant et cruel, loin de cette marionnette sympathique et truculente qu'on nous propose depuis des années.
Quant à lui, le Pacha Selim est un vrai personnage à part entière, et non ce rôle parlé qu'on a du mal à installer dans l'opéra. Hampe nous le présente en noble séducteur oriental, aux manières cependant brutales et tyranniques : au milieu de l'Acte II, après l'avoir menacée, Selim tente carrément de violer Constance, ce qui rend enfin crédible la très longue introduction du grand air Matter aller artern où la jeune femme évanouie reprend peu à peu connaissance. L'autre choix du metteur en scène se porte sur des décors extrêmement traditionnels, mais efficaces, admirablement éclairés en clair-obscur où la mer et les voiliers, symboles de liberté, sont omniprésents.
Côté chanteurs, c'est sans conteste le couple de serviteurs qui l'emporte sur celui des maîtres. Malin Hartelius – qui plus tard composera pour Aix, Rouen et Zurich une exceptionnelle Constance – campe ici une délicieuse mais impressionnante Blonde au caractère très affirmé, qui donne réellement du fil à retordre au bourreau Osmin. Le Pedrillo de Manfred Fink est élégiaque et idéal en ténor léger. Sympathique et attachant, il est parfait dans son espièglerie et sa sincérité. L'Osmin de Kurt Rydl doit plier sa belle voix wagnérienne aux arcanes mozartiens et repense entièrement un personnage de conte de fées en tortionnaire rebelle et séducteur. Reste le couple de maîtres.
Ruth Ann Swenson, même si elle en possède les notes et les ornementations, n'arrive pas à nous convaincre en Constance. Disqualifiée par une stature à la Castafiore, elle n'émeut jamais et se trouve bien empêtrée dans une mise en scène qui lui demande de s'investir. Face à l'implacable Pacha, elle ne réagit que peu et reste évanescente, en plein contresens. Par ailleurs, le Golden soprano, qu'on admirera plus tard dans Gilda, Manon et autres Antonia à l'opéra Bastille, ne semble pas très à l'aise vocalement en Constance. Fatigue d'un soir ou inadéquation aux exigences mozartiennes, sa prestation nous laisse déçus, surtout dans le Traurigkeit.
Le cas de Belmonte est différent. Le grand mozartien qu'est Hans-Peter Blochwitz semble ne pas pouvoir assumer la tessiture si particulière de ce rôle. Celui qui s'illustrera en Tamino avec William Christie dans la belle production de Robert Carsen à Aix en Provence (1995), interprétera tous les grands rôles de ténor de ce répertoire (Ottavio, Ferrando, etc.), se trouve bizarrement embarrassé par des vocalises et des notes aiguës difficiles. Il apparaît trop concentré sur ses problèmes vocaux pour jouer son personnage. Il assume cependant correctement le rôle du jeune architecte italien venu libérer sa fiancée du harem de Selim.
Décevante également, la direction apathique et sans magie de Gian Luigi Gelmetti oublie les apports indispensables des révolutions baroques et dispense un accompagnement d'un mortel ennui que cette passionnante mise en scène n'arrive pas à effacer ; écoutez le choix de tempi pour le grand air de Constance ou celui d'Osmin (Ha ! Wie will ich triumphieren) : vous aurez compris qu'on est loin de Minkowski, Gardiner ou Solti. Au final, un DVD à la prise de vues et au son impeccables, dont l'intérêt est sauvé par un vrai projet théâtral et par de brillants seconds rôles.
MS