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Wolfgang Rihm
Symphonie « Nähe fern »
Parmi les huit portraits de la collection Papier à musique, 5 lignes pour écrire le temps mise en image par Yan Proefrock [voir le site] – des musiciens filmés crayon en main (Neuwirth, Pesson, Dusapin, etc.) et, comme Wolfgang Rihm, largement soutenus par le Festival d’Automne à Paris qui vit la création « toute fraîche » d’ET LUX [lire notre chronique du 17 novembre 2009] –, on découvre le natif de Karlsruhe (1952) évoquant un besoin de créer qui l’habite depuis l’enfance (mots, dessin, puis notes) et le lien bien connu entre temps et musique – « nous prenons conscience du temps lorsqu’il se présente à nous, façonné sous forme de musique. Nous autres, compositeurs, nous façonnons le temps en lui imposant une forme, ou en tout cas en lui donnant la possibilité d’en prendre une ».
Cette vocation précoce de modeler l’impalpable a engendré un catalogue de plus de quatre cents opus, dans les genres les plus variés, si bien que l’auteur de Dionysos [lire notre chronique du 5 août 2010 et notre critique du DVD] s’avère un compositeur allemand des plus enregistrés, à l’instar de son professeur Karlheinz Stockhausen (1972-73) et de son ancien élève Jörg Widmann [lire notre entretien]. Aujourd’hui, c’est au tour de la Symphonie « Nähe fern » d’être gravée par le Luzerner Sinfioniorchester qui en assurait la création le 20 août 2012, au Festival de Lucerne.
Elle s’enracine dans les quatre symphonies de Brahms (1833-1897), artiste raillé par Strauss, Wagner, Liszt et Wolf pour ses attaches à la tradition de Haydn, mais jugé comme « progressiste » par Schönberg au regard de ses innovations [lire notre chronique du 27 janvier 2011], et dont Rihm, toujours tenté « de pouvoir donner forme au flot du développement », apprécie le flux organique et organisé. Parce qu’il a souvent convoqué son aîné – Brahmsliebewalzer (1986), Ernster Gesang (1997) et Das Lesen der Schrift (2002) –, il paraissait évident de lui commander quatre pièces destinées à accompagner l’exécution des opus mentionnés, de juin 2011 à juin 2012. Ces pièces jouées seules, auxquelles s’ajoute une orchestration du Lied Dämmrung senkte sich von oben, forment « Nähe fern ».
« Évidemment, prévient le compositeur, pas de citations ; des échos, sûrement, mais comme s’il s’agissait de formes primitives. Comme s’ils n’avaient pas encore pris la forme qui aura été la leur chez Brahms. Une forme première à laquelle on a donné forme. Mais – je dois cela à Brahms – en toute discrétion. » L’hommage joue donc avec la distance à prendre avec le modèle – ce « proche [qui] semble déjà loin » du titre, puisé dans la poésie de Goethe.
D’emblée, Nähe fern 1 illustre ce dessein car s’y trouve suggérée, déplacée, une épaisseur typiquement brahmsienne (liées aux cordes graves) qui laisse filtrer un lyrisme lumineux, discrètement mélodique – de même, la brève intervention d’Hans Christoph Begemann, baryton nuancé et expressif, installe l’aïeul à mi-chemin entre son siècle et le nôtre, chez les défricheurs Viennois (tension digne de Berg, romantisme à la Webern). Pour le reste, Nähe fern 2, Nähe fern 3 et Nähe fern 4 livrent des emprunts de motifs figés, puis triturés par Wolfgang Rihm qui leur donne ses propres développements. James Gaffigan s’attache à une lecture contrastée, sur un matériau qu’il révèle massif et dans le respect du souffle moelleux et emphatique de Brahms – susceptible de plaire au plus grand nombre.
LB