Chroniques

par laurent bergnach

Wolfgang Rihm
Dionysos

2 CD EuroArts (2013)
2072608
Wolfgang Rihm | Dionysos

Voilà plus de quarante ans que Wolfgang Rihm (né en 1952) vit en compagnie de Dithyrambes à Dionysos, semblants de poèmes que l’on range, avec L’Antéchrist (1896) et Ecce homo (1908), dans les œuvres « posthumes » du philologue, philosophe et compositeur Friedrich Nietzsche (1844-1900), sombré dans la démence avec l’épisode du cheval turinois (1889). Sous le scintillement des jeux de mots, de langage et de forme nagent des « germes scéniques » qui fécondèrent la créativité du musicien, comme il l’explique dans le programme du Salzburger Festspiele, au moment de la création de la fantaisie d’opéra (Opernphantasie) Dionysos par Ingo Metzmacher à tête du Deutsches Sinfonieorchester Berlin [lire notre chronique du 5 août 2010] :

« sans cesse en mouvement, ils forment des zones d’infection où couvent des actions scéniques extrêmement diverses, voire contradictoires. La contagion du lecteur ouvre des champs d’associations fiévreux. C’est ainsi qu’est né le livret et ainsi qu’il faut le comprendre – non pas avant, mais pendant le travail qu’a représenté la mémorisation continue de l’expérience de lecture, étalée sur plusieurs dizaines d’années, de ce texte singulier […] Sténographe stupéfait, j’ai été le premier spectateur, auditeur et critique d’un théâtre musical donnant contour et peau à l’une des multiples possibilités de capturer, en formes chancelantes, les entrelacs d’associations des Dithyrambes ».

On y découvre N., quasi-muet tentant d’attraper deux nymphes sur un lac, rejoint par Ariadne qui veut le faire parler par la grâce de son chant. Avec un Visiteur (Heinrich Köselitz, fidèle ami et assistant de Nietzsche ?), elle entame un duo d’une falaise à l’autre, avant d’abandonner les deux hommes à leurs palabres montagnardes. La fin de l’entracte dévoile un salon où l’on débat avec passion de la Vérité, et quatre « Esmeralda » qui cajolent N. au comble de l’extase. Mais un cauchemar se dessine avec l’arrivée d’être mythologiques, puis la transformation du héros en faune et son écorchage par Apollo. Enfin, un homme frappe son cheval à coups redoublé, et la peau de N. enlace l’animal, pleine de miséricorde.

« L’art est toujours total. C’est pourquoi je ne veux pas de réalité sur le plateau. La scène ne doit pas être une illustration de la réalité ! » confie le scénographe Jonathan Meese, ravi qu’on le laisse intervenir avec une liberté totale. Tandis que Pierre Audi assure la mise en scène du spectacle, lui en conçoit des décors graphiques auxquels répond la fantaisie inquiétante des costumes signés Jorge Jara. Le tout forme un ensemble des plus originaux qui n’aide pas toujours à la compréhension d’un propos somme toute décousu mais qui a l’avantage de bouleverser les conventions scéniques – en lointain cousin du Pan de Marc Monnet [lire notre chronique du 29 septembre 2005].

« C’est une œuvre multiple, riche de couleurs, foisonnante » déclare enfin Metzmacher, et non dénué d’humour, dans laquelle se distinguent Johannes Martin Kränzle (N.), baryton expressif, Mathias Klink (L’Invité/Apollo), ténor vaillant, ainsi que Mojca Erdmann (Ariadne) et Elin Rombo, brillantes coloratures, le mezzo Virpi Räisänen, l’alto Julia Faylenbogen et le comédien Uli Kirsch, lors des premières représentations de juillet 2010. Outre divers entretiens, on trouvera celui du chef allemand dans un reportage de cinquante minutes, Ich bin dein Labyrinth, qui regorge de pistes pour mieux saisir un ouvrage difficile d’accès, dont celle-ci : « le sujet, c’est la faculté humaine du langage ».

LB