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Chroniques
Zdeněk Fibich – Bedřich Smetana
Quatuor à cordes n°1 – Quatuors à cordes n°1 – n°2
Le quatuor thèque Talich, qui a déjà enregistré pour Calliope un CD consacré à Chostakovitch, une série Mendelssohn et un exceptionnel enregistrement de musique de chambre de Dvořák, revient à la charge aujourd'hui avec une galette absolument passionnante consacrée aux Quatuor à cordes n°1 et n°2 de Smetana. Mondialement connu pour La Moldau, une pièce de douze minutes du cycle Ma Patrie (Ma Vlast), devenue l'hymne national officieux de la Tchéquie, Bedřich Smetana (1824-1884) est paradoxalement un compositeur mal connu, pour qui – comme tant d'autres – l'arbreMoldau cache la forêt.
S’il est l'un des grands représentants de la musique tchèque, Smetana fut un véritable militant dont l'une des ambitions était de fonder une authentique culture tchèque, indépendante des écrasantes cultures voisines, allemande, austro-hongroise ou russe. Compositeur nationaliste ? Certainement. Le jeune militant du groupe armé Concorde ne badinait donc pas avec la chose politique, et la création d'une musique classique authentiquement tchèque (puisant sa source notamment dans le folklore de Bohème) n'était pas pour lui un élément décoratif, mais une nécessité liée à la marche de l'histoire. Dans son sillage, ce sont notamment Dvořák, Janáček ou Martinů qui ont contribué à faire émerger une identité tchèque. Après l'éclatement de la république socialiste de Tchécoslovaquie, cette fièvre nationaliste qui paraît si ardente dans la musique de Smetana reprend tout son sens et sa légitimité. Cependant, il faut garder à l'esprit que Smetana dépasse toujours le simple patriotisme, et certainement savoir mesurer les limites et les dangers d'une telle idéologie, quelles que soient les circonstances.
Les deux quatuors de Smetana qu'ont enregistrés les instrumentistes du Talich sont liés moins à l'histoire du pays du compositeur qu'à son histoire personnelle. Ils marquent deux moments importants de sa vie : sa soudaine surdité et les conséquences dépressives qui en découlent. Ce sont là les œuvres d'un sourd. On fera le lien avec Beethoven, évidemment.
Le Quatuor n°1 en mi mineur (1877) porte un titre très clairement autobiographique : De ma vie. C'est une longue pièce de près d'une demi-heure qui alterne les moments d'intense joie, notamment dans l'Allegro moderato sur des rythmes de polka et de danses folkloriques tchèques qui renvoient à un univers d'insouciance et de jeunesse ; et des instants d'une profonde mélancolie comme le splendide Largo sostenuto qui est décrit par l'auteur lui-même – dans une lettre retranscrite dans le livret – comme la réminiscence d'un souvenir amoureux de jeunesse. Dans cette même lettre, il décrit aussi le dernier mouvement de cet opus comme une peinture musicale de sa prise de conscience de l'importance d'une culture nationale tchèque. Se dégage de l'œuvre un sentiment d'espoir porté par de nombreux thèmes vifs adaptés de la musique populaire de la Bohème (l'une des provinces de la Tchéquie, avec la Moravie), troublé par des idées noires comme la note finale du premier mouvement, un mi, que Smetana décrivait comme étant le sifflement de sa surdité.
À quelques années de sa mort, le musicien ressentit le besoin de s'exprimer à nouveau à travers la forme quatuor sur ses problèmes intimes. Ce fut le Quatuor à cordes n°2 en la majeur, dit « inachevé ». D'une gestation longue, notamment à cause des problèmes pratiques liés à son handicap (il avait du mal, explique t-il dans une lettre, à retenir ses idées musicales : s'il ne les notait pas immédiatement, il avait tendance à les oublier), il est d'une dimension plus réduite que le premier – moins d'une vingtaine de minutes – mais développe sur le plan de sonprogramme des thématiques semblables : la colère et la déception liés à son handicap, la nostalgie de la joie de vivre symbolisée par des danses traditionnelles, etc.
Le programme est complété par le Quatuor n°1 de Zdeněk Fibich (1850-1900), compositeur tchèque qui reçut sa formation musicale directement auprès de Smetana. L'héritage du maître de Bohème y est audible à chaque page. D'un intérêt plus documentaire et musicologique que directement musical, cette œuvre de jeunesse a échappé par miracle à la destruction par le compositeur de nombreuses de ses premières œuvres non publiées. Elle ne fut retrouvée qu'en 1928.
Le Quatuor Talich est évidemment à son aise dans cet univers musical enraciné, voire même, n'ayons pas peur des mots, carrément roots ; il parvient à nous transmettre un peu de sa conviction pour ces œuvres importantes pour l'histoire de la musique comme pour celle de la Tchéquie – qui a fêté l'année dernière ses dix ans d'indépendance.
FXA