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Chroniques
Étienne-Nicolas Méhul
Uthal
Né dans les Ardennes un quart de siècle avant la prise de la Bastille, Étienne-Nicolas Méhul (1763-1817) vient poursuivre ses études musicales à Paris. Il y rencontre Gluck, lui-même arrivé en octobre 1773 pour la création d’Iphigénie en Aulide (1774), puis l’adaptation française d’Orfeo ed Euridice (Orphée et Eurydice, 1774) et d’Alceste (1776). Le Bavarois l’encourage à viser les théâtres, ce qu’accomplit le cadet avec le brillant succès d’Euphrosine ou Le tyran corrigé (1790), à l’Opéra Comique. Attaché à rendre compte de l’époque, avec ses jalousies et ses rivalités (Grétry, etc.), Berlioz fait un tri parmi les trente-cinq œuvres lyriques d’un confrère dont il juge la musique émouvante, mais sage jusqu’au rigorisme :
« Bion, où l’on trouve un joli rondo, Épicure, Le trésor supposé, Héléna, Johanna, L’heureux malgré lui, Gabrielle d’Estrées, Le prince troubadour, Les Amazones ne réussirent point et appartiennent probablement à la catégorie des ouvrages justement condamnés à l’oubli. L’Irato, Une folie, Uthal, Les aveugles de Tolède, La journée aux aventures, Valentine de Milan et Joseph sont au contraire de ceux auxquels le succès a été dispensé assez exactement, ce me semble, dans la proportion de leur mérité ».
Créé salle Favart, le 17 mai 1806, Uthal repose sur les vers de Jacques-Benjamin Bins de Saint-Victor inspiré par Ossian, un barde du IIIe siècle dont les poèmes gaéliques, publiés en 1760, marquèrent l’Europe. Si la supercherie littéraire est vite repérée du côté anglais, nombre de Français succombèrent au préromantisme de cette mode, tout au long du XIXe : Lesueur (Ossian ou Les bardes, 1804), Catel (Wallace ou Le ménestrel écossais, 1817), D’Indy (Fervaal, 1897), etc. L’histoire de Malvina finit par la réconciliation de son père, le vieux chef Larmor, avec son mari Uthal, violent et amoureux, mais la tristesse globale du livret encourage le retrait de l’affiche après une quinzaine de représentations.
Grâce au Palazzetto Bru Zane, cet acte unique fut enregistré fin mai 2015, à l’Opéra Royal de Versailles – ironique, quand on sait les affinités maçonnes de Méhul ! Du frémissement initial aux ultimes accords mozartiens, on sent Christophe Rousset maître de sa formation depuis un quart de siècle maintenant, Les Talens Lyriques. Le récent serviteur de Couperin [lire notre critique du CD] se montre précis, coloré et d’une incroyable fluidité. La disparition des violons au profit d’altos fut souvent dépréciée, surtout par l’auteur des Troyens [lire notre chronique du 19 février 2017] qui trouvait monotone ce clair-obscur continu ; dans son cas, on ose y voir la jalousie d’une trouvaille qui, somme toute, permet aux chanteurs des aigus confortables.
Comme dans Armida dernièrement [lire notre chronique du 28 février 2017], Karine Deshayes règne sur une distribution masculine. Moins à l’aise que ses confrères avec la déclamation omniprésente, si proche du chant, le mezzo offre une plénitude onctueuse. Sans heurt ni claironnement, Yann Beuron assure le rôle-titre avec sensibilité et tendresse, jusqu’à la voix de tête couronnant une romance (Acte II, Scène 4). On aime aussi l’aigu cuivré de Jean-Sébastien Bou (Larmor), baryton d’une saine ampleur, et le ténor clair de Sébastien Droy (Ullin).
Mené par Philippe-Nicolas Martin, le groupe des Bardes jouit de la présence de Renaud Van Mechelen, Artavazd Sargsyan et Jacques-Greg Belobo. Quant aux guerriers, c’est le Chœur de Chambre de Namur qui les incarne avec une vaillance olympienne. Si l’on n’a pu célébrer le retour de Méhul avec Stratonice et Le jeune sage et le vieux fou [lire nos chroniques du 21 février et du 7 mars 2017], ce livre-disque est une bonne occasion de rencontrer celui qui « n’était imbu d’aucun des préjugés de quelques-uns de ses contemporains, à l’égard de certains moyens de l’art qu’il employait habilement lorsqu’il les jugeait convenables, et que les routiniers veulent proscrire en tous cas » (Berlioz).
LB