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Chroniques
„Dem Andenken eines Engels“ par Patricia Kopatchinskaja
Orchestre Philharmonique de Radio France, Mirga Gražinytė-Tyla
Ce soir, c’est avec bonheur que l’on… quitte enfin la maison ronde ! Nous venons en effet d’y assister à un concert trop peu satisfaisant pour ne pas irriter nos oreilles. Dans le cadre du cycle Nature et vivant que, depuis le 13 septembre 2024 et jusqu’au 3 juillet 2025, l’Orchestre Philharmonique de Radio France explore dans son actuelle saison, « histoire de faire raisonner des chefs-d’œuvres avec des enjeux écologiques bien contemporains », la soirée est joliment ouverte par D’un matin de printemps, bref poème symphonique de 1918 signé Lili Boulanger, que Mirga Gražinytė-Tyla entame dans une couleur judicieusement debussyste. La cheffe lituanienne souligne à juste titre la saveur postromantique de la modernité un brin remâchée de cette pièce composée avec un grand métier. On apprécie la sonorité savoureusement surannée que ménage subtilement Hélène Collerette (premier violon solo). C’est dans le lyrisme que bientôt se déploie l’évident souvenir de Dukas, au fil d’une exécution adroitement ciselée.
Survient alors la catastrophe. N’était-il pas possible de jouer le Concerto pour violon „Dem Andenken eines Engels“ d’Alban Berg tout court ? Fallait-il vraiment qu’il fût précédé d’une mélodie folklorique de Carinthie puis suivi d’Es ist genug, choral puisé dans la Cantate BWV 60 de Bach ? Ce sont là matériaux dont use le concert, certes… mais encore ? Est-on bien certain de la vertu de ces sortes d’explications à la posture considérablement racoleuse ? Et, quand bien même, cela vaut-il vraiment la peine de déjouer l’unité de ce concerto ? Patricia Kopatchinskaja, dont le talent fut volontiers salué dans nos [lire nos chroniques du 13 novembre 2009, du 11 février 2017, des 18 août et 24 octobre 2018, enfin du 19 août 2019], commence sa prestation par une effet de scène : à gauche du plateau s’ouvre la porte et, en histrion courbé sur son pas et violon pointé, elle entame, sur une pédale d’orchestre, l’air folklorique avec ce que niaisement l’on appelle parfois « une mine inspirée ». Après ce moment de théâtre débute l’Andante du concerto. La soliste moldave tient tout du long son jeu dans un effleurement exsangue, comme d’une brindille effrangée plutôt que d’un archet, sans lyrisme aucun, et dans une expressivité que l’on s’attend presque à entendre tousser à en constater l’approximative justesse. Et si les musiciens du Philhar’ sont impeccables, la cheffe se révèle passivement coupable de se trop soumettre au caprice de la violoniste, ce qui, vraiment, ne vaut rien. Ainsi subit-on des rubati superfétatoires et, en général, une atroce élasticité de tempo qui mène immanquablement à un surplace flou et inerte dans les miasmes duquel s’enlise la dynamique. Deux malheurs arrivant rarement seuls, passé l’ultime note de Berg il en fallait un troisième… Kopatchinskaja joue et annone le choral de Bach, certains musiciens l’accompagnent de leur instrument quand d’autres chantent aussi, et là blesse le bât : par définition, ils chantent juste parce qu’ils ne savent pas faire autrement et le pire imaginable nous est donc épargné, mais sans être chanteurs donc avec grande gêne, comme s’il leur était demandé de faire pipi dans des bocaux devant tout le monde. Quelle sottise ! Le phénomène pose un vrai problème : lorsque le compositeur s’appuie sur ce choral, il a ses raisons de le détourner de son contexte originel et d’en faire autre chose, mais à l’ainsi chanter, on en fait entendre, puisqu’il ne saurait agir d’interpréter dignement Bach, la teneur religieuse du texte, donné frontalement par une assemblée à une autre assemblée. N’y a-t-il pas quelque chose de malsain à imposer à un public laïc, venu écouter un concerto qui n’est pas de la musique sacrée, une hymne de Luther, qui plus est dans un dispositif qui s’apparente à un rituel ? Quoi qu’il en soit, ce showbiz stupide ne suffit pas à faire oublier la calamiteuse interprétation qu’on vient d’entendre, et la déception est assez puissante pour inviter à ne plus jamais aller écouter une artiste si déloyale.
Après l’entracte, nous entendons deux opus diversement servis, dont la lecture, rendue à la seule baguette de Mirga Gražinytė-Tyla, se trouve salutairement dépourvue de tout cinoche. D’abord la Symphonie en ut majeur Hob I:7 “Le midi” de Joseph Haydn, créée en 1761 au Palais Esterházy d’Eisenstadt, où l’on admire la saine efficacité des pupitres de l’Orchestre Philharmonique de Radio France et cet art de la ciselure qui caractérise le travail de la cheffe. Si l’Adagio introductif de l’Allegro semble toutefois un peu lourd, le mouvement lui-même est un délice où fuse un esprit gracieux. Le Recitativo et son Adagio sont gagnés par un grand sens du tragique qui se révèle n’être que jeu, lui aussi, dans son habile sinuosité. Après la digne cordialité du Menuetto, le final Allegro parachève le sourire de cette exécution. L’interprétation de Tod und Verklärung de Richard Strauss (1888) convainc moins : la précision est au rendez-vous, mais la profondeur de l’œuvre demeure inaccessible à Gražinytė-Tyla – pour le moment.
BB