Chroniques

par irma foletti

Aida | Aïda
opéra de Giuseppe Verdi

Opéra de Monte-Carlo / Forum Grimaldi
- 20 novembre 2025
Davide Livermore met en scène AIDA à l'Opéra de Monte-Carlo...
© marco borrelli | omc

La spectaculaire production d’Aida créée début 2023 par Davide Livermore à l’Opéra de Rome s’adapte confortablement, ce soir, à la vaste scène du Forum Grimaldi – on y retrouve d’ailleurs l’ossature des décors de Giò Forma, déjà en place lors du fliegende Holländer donné ici-même en version de concert, il y a peu [lire notre chronique du 2 novembre 2025]. L’avant du plateau, en sol noir brillant, est dégagé, tandis qu’un praticable en quelques marches et à géométrie variable, est aménagé sur la partie arrière. Mais c’est le mur de vidéo trônant au centre – mur avec un petit retour sur le côté qui suggère d’ailleurs un parallélépipède – qui attire l’œil, cependant sans excès. À vrai dire, les animations de D-Wok présentent le plus souvent des surfaces de matières et lumières différentes, comme une paroi dorée, du sable, des écailles de serpent en mouvement, et, bien plus rarement, des personnages plutôt abstraits dans une tempête de sable ou encore sur fond de nuages noirs.

Les choristes sont nombreux mais se mettent en place prestement, pour rester ensuite à peu près immobiles pendant le tableau considéré, sinon pour effectuer quelques gestes répétitifs qui tirent parfois vers la caricature, comme la sorte de haka collectif au premier acte. Davide Livermore et Carlo Massari sont chargés des chorégraphies, sollicitant dix danseuses qui crient régulièrement pendant leurs mouvements, entre fausses bagarres et contorsions. Deux hautes parois latérales d’aspect minéral coulissent pour réduire l’ouverture du cadre, le baisser du rideau ménageant alors un espace réduit en avant-scène pour y dérouler les séquences les plus intimistes. Les costumes de Gianluca Falaschi évoquent les Années folles, en tête Amnéris et ses suivantes en robes noir et or, coiffes à plumes pour certaines têtes. Quelques tableaux sont très élégants, comme les appartements d’Amnéris à la grande méridienne et aux torches sur pied, ou encore le troisième acte où le brillant du sol peut figurer le Nil, dans une petite fumée et les lumières vertes d’Antonio Castro, avec évocation du temple d’Isis à l’écran. Le spectaculaire est aussi convoqué à l’acte précédent, quand le Roi descend sur une passerelle suspendue aux cintres, avant la marche triomphale.

Initialement programmée dans le rôle-titre, Anna Pirozzi est remplacée pour l’ensemble des représentations par Aleksandra Kurzak, qui triomphait en Aida à l’Opéra national de Paris il y a deux semaines (Bastille). Le soprano polonais développe une fine et sûre musicalité, le grave reste bien exprimé et l’interprète varie à loisir les nuances dans l’aigu, jusqu’à d’infimes notes filées. L’actrice est également investie et sa forme vocale presqu’aussi splendide qu’à Bastille : on peut mentionner que le 4 novembre, l’artiste y concluait le deuxième acte par un contre-mi bémol, dans une indifférence à peu près générale – le public a bien changé depuis Maria Callas en 1950… –, note presqu’insensée qu’elle ne tente pas aujourd’hui [lire nos chroniques de Maria Stuarda et de Fedora].

Marie-Nicole Lemieux possède assurément l’ampleur et les graves profonds qui caractérisent Amneris. Le médium est agréable, mais la tessiture du contralto québécois l’amène plusieurs fois à émettre des aigus nettement criés. Ceci est spécialement vrai dans le premier tableau du quatrième acte où la chanteuse lance des aigus dévastateurs dans l’anathème, pendant que le tonnerre gronde à l’orchestre. En Radamès, nous retrouvons Arsen Soghomonyan [lire notre chronique de Guerre et paix]. D’un timbre fort sombre dans le médium qui s’adapte peu au rôle, le ténor arménien ne fait pas parfaite impression. Les aigus sont épanouis et bien tenus, quoiqu’on entende une fragilité sur la fin de l’air d’entrée, Celeste Aida. Mais ce sont surtout ses tentatives de passage en nuance mezza voce qui semblent peu naturelles. En revanche, on apprécie sans limite l’Amonasro de Ludovic Tézier, doté d’un instrument à la noblesse sans égale, pour le grain vocal et la ligne de chant. Erwin Schrott sonne puissamment mais un peu monolithique, par moments, en Ramfis, ce qui convient toutefois au personnage du grand prêtre [lire nos chroniques de Don Giovanni, Les vêpres siciliennes, Moïse et Pharaon, Faust et Il viaggio a Reims]. On le préfère au Roi d’Antonio Di Matteo, voix intrinsèquement richement timbrée mais sujette à instabilités – peut-être la position en élévation sur la passerelle perturbe-t-elle le chanteur. Des prestations de qualité sont notables pour les rôles plus secondaires de la Prêtresse, par Galia Bakalov, et du Messager plutôt fougueux de Vincenzo Di Nocera [lire notre chronique d’I due Foscari].

Aux commandes d’un Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo bien appliqué, Massimo Zanetti surprend parfois par quelques tempi paraissant lents, mais sans doute pour accentuer davantage certains contrastes de la partition [lire nos chroniques de Tosca, Madama Butterfly et Nabucco]. Le chef veille au bon équilibre entre fosse et plateau. Il ménage un brillant assez considérable sur plusieurs ensembles ou finals. Le Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo a été préparé avec excellence par Stefano Visconti. Les interventions pianissimo en coulisses sont, en particulier, des merveilles où les voix détachent chaque syllabe avec précision.

IF