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Chroniques
Alessandro nell’ Indie | Alexandre en Inde
dramma per musica de Leonardo Vinci
Comme beaucoup de théâtres des États pontificaux interdits aux femmes pendant une grande partie du XVIIIe siècle, le Teatro delle Dame – anciennement connu sous le nom de Teatro Alibert, du nom de son architecte Antonio d’Alibert – présenta nombre d’opera seria avec une distribution entièrement masculine, les rôles féminins étant confiés à des castrats. C’est là que Leonardo Vinci (1690-1730), quelques mois avant sa mort par empoisonnement, fit représenter Alessandro nell’Indie (2 janvier) puis Artaserse (4 février), deux ouvrages ayant Metastasio comme librettiste.
Pour le premier d’entre eux, Pietro Metastasio s’est inspiré de la bataille de l’Hydaspe (326 av. J.-C.) qui opposa le conquérant Alexandre III de Macédoine au roi indien Porus, vaincu mais respecté. Comme nous sommes sur son territoire, Poro compte plus d’un proche à ses côtés : son amante Cleofide, sa sœur Erissena et le dévoué général Gandarte, amoureux de la précédente. Alessandro, quant à lui, n’a pour appui fragile que Timagene, général conspirant à la perte de son maître. Parmi les dizaines de compositeurs ayant revisité un livret à succès en le dotant d’un titre inédit, citons Händel (Poro, re dell’Indie, 1731), Hasse (Cleofide, 1731) ou encore Graun (Alessandro e Poro, 1774).
Jamais remonté depuis 1730, cet opéra de près de quatre heures revient à la vie dans le cadre du troisième Bayreuth Baroque Opera Festival avec la même absence notable de chanteuses. Directeur musical du festival, Max Emanuel Cenčić appuie sa productionsur des complices travestis en héroïnes, suivantes et danseuses, pour créer un univers loufoque, voire clownesque, où domine la fantaisie. Si la chorégraphie de Sumon Rudra participe à l’énergie dégagée par ce spectacle réjouissant, il faut aussi parler du décor somptueux conçu par Domenico Franchi et des costumes de Giuseppe Palella qui exacerbe un exotisme scintillant en une débauche de gemmes et soieries. À cela s’ajoute une équipe vocale de qualité supérieure, soutenue par la lecture tonique de Martyna Pastuszka, à la tête de {OH!} Orkiestra Historyczna.
Salué par des brava ! à peine choquants dans cette ambiance queer, le sopraniste Bruno de Sá (Cleofide) force l’admiration par un chant facile qui se prête facilement à la parodie, comme dans la joute avec crêpage de chignon mémorable qui clôt l’Acte I. En comparaison, Jake Arditti (Erissena), à la technique solide, affiche un contreténor viril [lire nos chroniques de Tres Canciones lunáticas, Cuerdas del destino, Agrippina à Vienne, La divisione del mondo et L’incoronazione di Poppea]. Lui aussi à l’aise dans la bouffonnerie, Franco Fagioli (Poro) séduit par son sens de la nuance et une belle égalité sur toute la tessiture [lire nos chroniques de La clemenza di Tito, La concordia de’ pianeti, Adriano in Siria, Siroe, Eliogabalo, Agrippina à Munich et Alcina]. Maayan Licht (Alessandro), qui remplace au pied levé Dennis Orellana tombé malade pendant les répétitions, a pour lui l’agilité, la souplesse et la clarté. Nicholas Tamagna (Timagene) est efficace, personnage de traître aux interventions réduites [lire notre critique de Dido and Æneas]. Enfin, félicitons Stefan Sbonnik (Gandarte) [lire notre chronique de Francesca da Rimini], ténor vaillant aux premiers airs parfois tendus, qui gagne par la suite en tendresse, notamment dans sa déclaration à Erissena.
LB