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Amy Beach, Mel Bonis et Charlotte Sohy
Mathilde Calderini (flûte), Constance Luzzati (harpe) et le Quatuor Hermès
En collaboration avec Cité des compositrices, qui s’est fixé pour mission de « pallier l’absence des femmes dans les programmations musicales aujourd’hui » grâce à un travail de recherche, d’exploration et de diffusion, le Quatuor Hermès, désormais constitué des violonistes Omer Bouchez et Elise Liu, de l’altiste Lou Yung-Hsin Chang et du violoncelliste Yan Levionnois, joue ce soir un programme entièrement consacré à des œuvres que trois de nos sœurs conçurent entre 1916 et 1945. Reprenant en son fronton le titre d’une d’entre elles, Scènes de la forêt, ce concert, donné sans entracte, aurait donc pu tout aussi bien être appelé D’un guerre à l’autre.
Pour commencer, le Quatuor à cordes Op.33 n°2 de Charlotte Sohy, soit l’opus le plus tardif à ce menu. L’abord de son Allegro, par-delà l’appréciable véhémence qui investit son expressivité, pâtit malheureusement d’une justesse quelque peu aléatoire. La qualité d’écoute mutuelle est cependant au rendez-vous, mais quelque chose ne veut pas prendre dans le jeu des deux violons, dont le premier accuse une emphase assez grande, semble-t-il, pour détourner d’un presque-rien ses doigts de l’emplacement exacte. Les premiers pas de l’Andante qui s’ensuit souffrent à leur tour d’un unisson peu probant (deuxième violon et alto), quand, à l’inverse, l’entrée du violoncelle fait merveille. Dans la désolation poignante de ce mouvement élégiaque, le chant approximatif du premier violon, quasiment affirmé comme partie soliste, découd la saine conduite de la nuance, sans que son chant parvienne à sauver le Rondo conclusif.
Au cœur de la Grande Guerre, la musicienne nord-américaine Amy Beach écrit Thème et variations Op.80 pour flûte et quatuor à cordes. Mathilde Calderini [lire notre chronique du 10 février 2017] rejoint les quartettistes pour cette page dont l’aura fauréenne est traversée d’un élan volontiers debussyste – en 1916, l’aîné français souffre atrocement d’un cancer, diagnostiqué trente mois plus tôt, et qui l’emporterait trop tôt pour qu’il vît la fin du conflit mondial. L’interprétation de cette page où alternent arabesque et déploration bénéficie soudain d’une saine reprise de contrôle par le premier violon, désormais avec ses partenaires. On goûte des demi-teintes adroitement réalisées, mais encore un phrasé subtil. Ici, l’altiste révèle à son tour de grandes qualités.
Deux opus plongent notre écoute dans les années art déco. Tandis qu’on inaugure la salle Pleyel, en 1927, Mel Bonis compose ses Scènes de la forêt pour flûte, alto et harpe, qui s’articulent en quatre bref épisodes. Avec une fermeté tendre, Constance Luzzati [lire notre chronique du 29 octobre 2006] lance un ostinato sur l’immuabilité duquel se posent une berceuse d’alto, puis la virevolte flûtistique. Le Nocturne se développe en une sorte d’exquise confiance, pour ainsi dire, à laquelle les interprètes réservent un équilibre idéal. Sur ce même principe d’un motif obstiné de la harpe dans l’aura duquel ciseler les autres parties commence À l’aube où prend bientôt naissance un geste plus large. À l’inscription postromantique succède un néoclassicisme pleinement assumé, via une chanson antique où la harpe prend un rôle de luth. Après cette Invocation d’on ne sait quelle aimable idole d’autrefois, Pour Artémis s’impose par une sicilienne enjouée puis un mouvement plus amplement valsé dont surprend la couleur par moment straussienne. De bon aloi, la présente réalisation séduit aisément.
Pour finir, retrouvons la Parisienne Charlotte Sohy à travers une page de 1925, Triptyque champêtre pour flûte, harpe et trio à cordes (violon, alto et violoncelle), point impérissable et toutefois plaisante – le manque d’audace de ces quatre œuvres en fait le parfum général. Au lyrisme généreux du cantabile initial de l’Enchantement matinal répond la barcarolle d’Au fil de l’eau, sur un miroitement de lumière confié aux doigts de Constance Luzzati. Avec cette artiste, un legato de harpe n’est absolument pas une vue de l’esprit, ce dont témoigne avec superbe la Danse au crépuscule où le violon coloré d’Omer Bouchez est un bonheur. En bis, le quatuor au complet avec Mathilde Calderini et Constance Luzzati offrent l’adaptation pour cet effectif d’une mélodie composée en 1916 par Lili Boulanger sur des vers de la poétesse Bertha Galeron de Calonne, Dans l’immense tristesse. Parce qu’en effet il n’est aucun sens à boucher nos oreilles à la créativité musicale féminine, cette bonne nouvelle : le festival Un temps pour elles, à l’initiative de Cité des compositrices, tiendra sa cinquième édition le 6 juin.
BB