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Chroniques
concert 1 – Henze, Lévy, Schneller et Widmann
Ilan Volkov dirige l’Orchestre national de France
En cette Journée mondiale de la radio – un média que l’Unesco encourage à promouvoir « l’accès à l’information, la liberté d’expression et l’égalité des genres » –, la maison ronde lance la vingt-quatrième édition de Présences, son festival de création musicale, qui propose treize concerts jusqu’au 25 février. Cinquante ans après la signature du fraternel Traité de l’Élysée (1963), il regroupe de nombreux natifs d’Allemagne (Bauckholt, Borowski, Dohmen, Eggert, Henze, Koch, Lachenmann, Mainka, Maintz, Mundry, Platz, Poppe, Rihm, Schneller, Schöllhorn, Schreier, Stahnke, Thomalla, Weill, Widmann, Zapf et Zimmermann) comme de France (Andre, Boulez, Cavanna, Cendo, Combier, Drouin, Hervé, Lévy, Manoury et Pécou) sur le thème Paris Berlin. Pour sa part, le public décline l’invitation puisque des balcons inoccupés surplombent une corbeille à moitié vide… L’éternelle question se pose alors : la salle serait-elle envahie si la sensibilisation à la création (par la presse, l’école, etc.) passait à la vitesse supérieure ?
Depuis le XIXe siècle, rappelle Fabien Lévy (né en 1968), les deux pays fêtés servent de caisse de résonnance réciproque (Wagner à Paris, Debussy à Bayreuth, etc.). Admiratif d’un Varèse voyageur, lui-même devint Berlinois en 2001, attiré par une ville extrêmement stimulante après avoir rencontré Allain Gaussin à Darmstadt, son premier professeur de composition, puis Denissov, Boucourechliev, Murail, Grisey, Léothaud mais aussi Baudoin, Cugny et Badault dans une école de jazz. « Ce que j’aime, dit-il, c’est le jeu, le paradoxe, casser l’écoute culturelle, et faire que l’auditeur redevienne un enfant sans culture. » Créé au festival Ultraschall, Hérédo-Ribotes (2003) pour alto solo (Sabine Toutain) et cinquante-et-un instrumentistes se joue chez nous pour la première fois. Hélas, on n’est guère convaincu par le côté fermé de l’œuvre (ostinati, surplace, partie solistique bègue, etc.) ni par les cornistes décoratifs placés dans la salle.
Concepteur de l’exaltant Am Anfhang [lire notre chronique du 13 juillet 2009] et du décevant Babylon [lire notre chronique du 21 juillet 2013], soliste toujours virtuose, Jörg Widmann (né en 1973) lance Elegie (2006) avec une longue note tenue de clarinette en la, laquelle s’avère tour à tour sinueuse, musclée, plaintive, volubile, turbulente et tendue. L’orchestre est d’une tendresse souvent mahlérienne nappée de scintillements (accordéon, harpe, flûtes), parfois secoué de sursauts (pluie de cordes, appels de cors, etc.). Ce concerto créé à Hambourg par Christoph von Dohnányi, dirigé ici par Ivan Volkov – avec attention et précision –, est disponible au disque sous la battue de Christoph Poppen [lire notre critique du CD].
Des parents diplomates et musiciens ont mené Oliver Schneller (né en 1966) [photo] à l’étude du saxophone alto à Manille, qu’il joue en professionnel dans des big bands allemands à la fin de l’adolescence. La découverte de Chronochromie (Messiaen) et d’Atmosphères (Ligeti) change sa vie. Appréciant la souplesse et la sensualité trouvées chez Debussy et Ravel, c’est naturellement qu’il s’attache au Français Murail, loin des diktats imposés par Stockhausen et Kagel. « La technique spectrale est très séduisante, dit-il, car tout y fait sens. Mais il ne faut pas oublier que le jazz aussi m’a formé. » Troisième volet d’un cycle orchestral évoquant les cinq éléments chinois, WuXing/Water offre une pâte généreuse, fluide et d’une douce agitation qui rappelle l’exotisme urbain de Milhaud, Gershwin et Villa-Lobos.
Sebastian im traum (2005) ramène l’auditeur au temps béni où le Châtelet présentait The Bassarids et Pollicino [lire nos chroniques du 15 avril et du 20 avril 2005], outre le répertoire russe (Moussorgski, Rubinstein, Rimski-Korsakov, etc.) et l’avant-garde (Dusapin, Takemitsu), au lieu des bluettes glanées à Broadway. Hans Werner Henze (1926-2012) suit les traces du poème éponyme de Georg Trakl où il est question « d’images nocturnes de la campagne qui entoure Salzbourg, de visions de l’enfance et de la morgue, avec la désintégration, les rêveries automnales, les anges et les ombres ». Dans cette œuvre moelleuse qui conclut un programme timoré sinon pantouflard, l’Orchestre national de France palpite d’une tendre tension.
LB