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Chroniques
création de Shouting silences de Marco-Antonio Pérez-Ramirez
François-Xavier Roth dirige l’Ensemble Intercontemporain
Venant clore un cycle consacré au triomphe de la raison au siècle des Lumières (Bach, Beethoven, Haydn, Mozart), ce concert s’annonce comme le second d’une nouvelle saison pour l’Ensemble Intercontemporain, lequel interpelle le public via une publicité concernant un blog destiné aux échanges d’internautes et une enquête visant à mieux connaître les moyens d’information du spectateur, son rythme de sorties ou encore ses goûts – « êtes-vous plutôt Adams, Lachenmann ou Xenakis ? ». À pénétrer dans une salle à moitié vide, on se dit que l’opération tombe à pic pour créer une émulation autour de la musique d’aujourd’hui, laquelle peine à toucher de nouvelles oreilles, voire à conserver la motivation des anciennes, et à trouver des défenseurs. En toute logique, ce combat de longue haleine devrait se mener en bonne intelligence avec les journalistes. Or, ceux-ci se sentent parfois indésirables, au point de se demander si, au fond, l’envie de transmettre est bien réelle.
Créé à Ars Musica en mars 2005, Con leggerezza ouvre le programme.
Se destinant à cinq ensembles de cinq musiciens, cette pièce de Bruno Mantovani présente dès l’abord plusieurs pistes possibles, puisque n’offrant la prédominance à aucun instrument. Le matériau prend vie progressivement. L’on assiste à un magma organisé, lié à ce que le musicien décrit comme « une accumulation des évènements due à [un] phénomène d’écho ». Les cuivres apportent un relief certain, de même qu’une cadence de clarinette basse qui accompagne le final. Comme souvent chez Mantovani, la partition est riche en ruptures (moments d’apaisement, d’halètement épuisé au cœur de la tourmente), en sonorités séduisantes qui stimulent et retiennent l’écoute.
Fanal retrouve ses créateurs du 17 juin 1991. Beaucoup de nerf, de relief et de nuances dans l’œuvre écrite par l’Allemand York Höller en écho à la Révolution Française, avec – aussi étrange que cela paraisse – des micro-évènements dansés, assez voluptueux. De façon inattendue, la fin se déroule dans l’inconsistance d’un souffle traversé d’archers brumeux, cristallisé par le halo de la table pianistique. Saluons la remarquable prestation du trompettiste Jean-Jacques Gaudon, maîtrisant les passages d’abord claironnant puis plus sinueux de son instrument – nous aurions assurément basculé dans un univers kitsch avec un interprète moins brillant.
Dernière née du catalogue de Marco-Antonio Pérez-Ramirez, Shouting silences voit son esthétique évoluer globalement dans l’énergie d’un geste las. Un départ fulgurant et inquiet aux percussions laisse place à un chant désolé et affaibli des cordes, avec une incise mordante des vents, sur lesquels le violoncelle de Pierre Strauch s’obstine en râles hargneux. « La forme n’a plus aucune importance pour moi, explique cet adepte de Bergson, elle existe, mais est issue simplement du rapport des masses en présence, de la diversité des dynamiques et de la profondeur d’articulation ». Si la pièce paraît souffrir d’une interprétation trop chaste (un autre feu serait nécessaire), l’ovation est au rendez-vous, signe encourageant pour un quarantenaire encore peu joué à Paris.
Indéniablement, les musiciens sont plus à l’aise avec At First Light, pièce de 1982 qu’ils connaissent bien. Présentée par George Benjamin comme « une contemplation de l’aube, une célébration des couleurs et des bruits du petit jour », bornée par la présence d’un piccolo, la partition vibre d’interventions de cuivres et de contrebasse, scintille de notes de xylophones, recèle de petites pochettes surprises (la balle de ping-pong dans le bocal en plastique, le papier froissé) et offre de saisissants silence entre les parties. Malgré de copieux tutti embrouillés sous la battue de François-Xavier Roth, ce classique à la structure saccadé séduit par sa veine impressionniste originale. Un peu comme si La mer de Debussy venait lécher les Amériques de Varèse, sous un ciel d’Eclairs magnifiés par Messiaen.
LB