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Chroniques
Debussy et Brahms selon Marek Janowski
L’on se prend parfois à admirer la cohérence qui semble avoir prévalu à la construction d’un programme de concert. À l’inverse, le menu de ce soir semble, de prime abord, peu soucieux de ces préoccupations, opposant de chaque côté de l’entracte Brahms à Debussy. Mais, dans le vif du sujet, l’on comprend vite que la personnalité et l’art de Marek Janowski savent non pas révéler des similitudes mais tant imposer leurs manières à ces musiques que le mariage n’en soit plus impensable.
Ainsi du Prélude à l’après-midi d’un faune dont le silence rencontre sous cette baguette une gestion étonnante et inventive. Le chef avance ici dans une retenue d’une grande pudeur pour finalement exulter dans un lyrisme à la sensualité toute wagnérienne, celle de Tristan et de Pelléas. À celui qui dirait que Janowski n’a pas le secret des alliages debussystes et que les textures pourraient être plus finement travaillées, l’on répondra qu’il semble assez évident que le chef ne s’inquiète pas ici de ces questions, concentrant son talent sur d’autres aspects de la partition, selon une tradition et un savoir-faire certes moins français mais, pour le coup, proprement passionnant.
Ainsi encore des Nocturnes dont les Nuages traversent l’extrême délicatesse de la nuance des cordes, en un geste dégraissé et sans sucre. La tendresse infiniment discrète de l’inflexion ne livre que de rares fragrances qui ne laissent pas même s’exprimer l’élan chanté. Avec éclat, Janowski s’engage ensuite dans des Fêtes que l’on soupçonne d’abord sauvages mais dont les cordes, exquisément moelleuses, éduquent l’énergie. C’est alors une couleur viennoise que le chef exploite, révélant à n’en plus douter l’inspiration qu’un Ravel sut y puiser plus tard. Après cette joie sérieuse, les Sirènes émettent leurs plaintes enjôleuses dans l’urgence contenue d’un orchestre chaleureusement moiré. La partie de chœur demeure ingrate, car difficile sans en avoir l’air et, du coup, rarement probante au concert ; ce soir, les dames du Chœur de l’Opéra de Lausanne offrent une prestation tout à fait honorable.
Après un Debussy robuste, c’est un Brahms approfondi – j’entends par là exploré jusqu’en ses moindres cavités – qu’offrent Janowski et ses musiciens du Rundfunk Sinfonieorchester Berlin. Précédent d’une dizaine d’années le puissant faune, la Symphonieen mi mineur Op.98 n°4 occasionne trop souvent des lectures épaisses. Rien de tout cela, ici : c’est au contraire en profitant de tout ce qu’offre l’écriture que les artistes témoignent de son orgie.
L’Allegro initial bénéficie d’une accentuation vive et toujours d’à propos, articulant savamment la copieuse logorrhée brahmsienne. On y goûte l’autorité d’un excellent pupitre de contrebasses. Différents plans édifient peu à peu l’Andante moderato où l’on apprécie plus encore les qualités de la formation berlinoise. Précision imparable des pizz’, choral de vents parfaitement étale, couleur minutieusement dosée, autant de vertus qui concourent au lyrisme conclusif, se gonflant comme un fleuve qui charrie les eaux torrentielles du dégel. Après cet puissant apogée, les attaques bondissantes de l’Allegro giocoso n’en paraissent que plus enjouées. De même le dernier mouvement affirme-t-il plus encore les contrastes, parfois osés, dans une véhémence puissante mais jamais excessive où, au plus fort des tutti, l’on perçoit encore chaque détail. De fait, c’est un Brahms magistralement brucknérien que l’Auditorium Stravinsky voit surgir.
BB