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Chroniques
Der fliegende Holländer | Le vaisseau fantôme
opéra de Richard Wagner
En ce dernier samedi de septembre, le Musiktheater im Revier de Gelsenkirchen ose se confronter à l’un des monuments du répertoire wagnérien, Der fliegende Holländer. Dans la Grosses Haus l’on découvre cette nouvelle production qui, sans la pompe d’un grand festival international, montre ce qu’une maison de taille moyenne peut apporter à une œuvre si réputée. Là est bien l’enjeu : Wagner n’appartient pas seulement aux grandes scènes, de Bayreuth à Berlin en passant par New York ou Paris, mais trouve aussi avantage à être revisité dans un théâtre qui parie sur la proximité, d’une intensité presque artisanale, au service de la légende du marin maudit.
Conçue d’après une idée de Gabriele Rech, la mise en scène d’Igor Pison s’appuie sur un contraste fécond entre réalisme portuaire et allégorie fantastique. Voiles, cordages, quais et lumières créent une saisissante ambiance marine où l’on sentirait presque l’odeur du sel et du bois mouillé. Ce climat portuaire, remarquablement rendu par les décors de Nicola Reichert [lire nos chroniques de Billy Budd, Das Rheingold, Die Walküre, Siegfried et Götterdämmerung] et les éclairages que signe Patrick Fuchs, donne à la production une assise concrète qui rend d’autant plus troublante l’irruption du surnaturel. Loin de s’en tenir à un effet gratuit, les vidéos de Gregor Eisenmann matérialisent la frontière mouvante entre terre et mer, entre destin et liberté. Murée dans son obsession, Senta y trouve l’espace de projection de ses rêves et de ses angoisses. Les moments contemplatifs, souvent délicats à maintenir, s’inscrivent alors dans une atmosphère dense, laissant surgir avec d’autant plus de force les accès de tension dramatique. Sobres et modernes, les costumes, réalisés par la scénographe cité plus haut, inscrivent l’argument dans une temporalité flottante qui évite l’anecdote sans rompre avec l’imaginaire romantique.
L’autre grande réussite vient l’Opernchor des Musiktheater im Revier, d’abord par la justesse de son rendu musical, solide, homogène et expressif, ensuite par son investissement scénique. Véritable acteur du drame chanté, le collectif incarne la communauté des marins et des villageois, tantôt masse anonyme, tantôt corps vibrant de peurs et de désirs. Rarement l’on aura senti avec autant d’évidence l’importance dramaturgique du chœur dans cet opéra de jeunesse. Sous la direction attentive de Rasmus Baumann, la Neue Philharmonie Westfalen donne à entendre les textures mouvantes de la partition, toujours en équilibre avec les voix. Quelques passages laissent littéralement musiquer la mer, élément omniprésent qui semble sculpter la destinée des protagonistes.
Côté distribution, le Hollandais campé par Benedict Nelson se distingue par la puissance et la nuance d’une incarnation qui évite le monolithisme : la malédiction se lit dans sa voix autant que dans le corps [lire nos chroniques de The Rape of Lucretia, Berliner Requiem, Peter Grimes et Gloriana]. La Senta de Susanne Serfling séduit par une prestation inspirée, ample et précise, et convainc par son incarnation théâtrale d’une héroïne partagée entre le désir d’absolu et l’appel du sacrifice. Dans chaque geste comme dans chaque regard se lit le conflit intérieur, rendant crédible une figure souvent figée dans l’obsession. Tobias Schabel en Daland [lire notre chronique de Tannhäuser], Martin Homrich en Erik et Almuth Herbst en Mary assurent honorablement ces rôles, parmi lesquels se détache positivement le Steuemann d’Adam Temple-Smith. Ils dessinent les contours d’un monde ordinaire auquel se heurte la folie visionnaire de Senta. Les duos, notamment entre l’héroïne et le fantôme, dégagent une tension qui nourrit la dramaturgie sans la forcer, tandis que les monologues sont maintenus dans leur force hypnotique.
La cohésion dramatique n’est pas exempte de ruptures, certains passages accusant des lenteurs, quelques transitions semblant hésitantes. Faut-il le reprocher à la production ou à l’œuvre elle-même ?... Rappelons que Der fliegende Holländer n’appartient pas au Wagner de la musique de l’avenir mais au romantisme tourmenté hérité de Weber et de Marschner. Comme dans Der Freischütz ou Der Vampyr, les contrastes abrupts et les disparités de ton en font en partie la grammaire. Cette mise en scène choisit de les assumer, jusqu’à la conclusion où le dernier geste scénique pèse de tout son poids sur l’expérience du spectateur. Loin de vouloir combler les failles d’une dramaturgie de jeunesse, la production s’efforce d’en révéler la vigueur et l’étrangeté.
De cette soirée l’on sort avec le sentiment qu’une maison régionale peut offrir à Wagner une forme de vérité propre, moins écrasée par la tradition et plus attentive au climat humain et maritime de l’œuvre. La plus précieuse adaptabilité de la faconde du compositeur tient peut-être dans sa capacité à résonner différemment selon les contextes. Il pourra être intéressant de guetter les futures saisons du Musiktheater im Revier, pour voir si s’y trouve poursuivi ce pari sur des œuvres lourdes, et comment il continuera à conjuguer exigence musicale, audace scénique et enracinement local.
HK