Chroniques

par irma foletti

Die Entführung aus dem Serail | L’enlèvement au sérail
singspiel de Wolfgang Amadeus Mozart

Opéra de Saint-Étienne
- 13 juin 2025
"Die Entführung aus dem Serail" (Mozart) à l'Opéra de Saint-Étienne...
© cyrille cauvet | opéra de saint-étienne

L’Opéra de Saint-Étienne propose une nouvelle production du Singspiel mozartien Die Entführung aus dem Serail, avec les airs heureusement conservés dans leur langue originale mais les dialogues traduits en français et adaptés en partie – difficile d’imaginer Osmin déclarer, dans les années 1780, que « le Pacha est une chiffe molle » ! La scénographie de Jérôme Bourdin, également en charge des costumes, enserre l’action à l’intérieur d’un espace circulaire délimité par un haut rideau blanc, celui-ci ayant tout de même l’inconvénient d’absorber le son et diminuer en conséquence le volume des chanteurs. Des éléments en larges treillis dorés, la plupart en cylindres verticaux, forment les principaux ingrédients du décor, avec un grand volume ajouré en fond de scène pour matérialiser la chambre, au-dessus de laquelle monter par deux escaliers latéraux. Ce palais grillagé du pacha Selim peut évoquer les moucharabiehs orientaux et fait aussi facilement office de prison pour les amoureux qui tentent de s’en échapper. La mise en scène de Jean-Christophe Mast [lire notre chronique de Roméo et Juliette] se révèle certes élégante, dépouillée et stylisée, mais pas spécialement drôle, avec un jeu d’acteurs plutôt statique, surtout au premier acte. Même si l’humour va en s’améliorant au fur et à mesure, on reste dubitatif aux premières interventions d’Osmin qui, après avoir coupé de sa cisaille une banderole HILFE, menace avec cet outil les bijoux de famille de Pedrillo.

Après qu’elle y a chanté, ces dernières saisons, La traviata et Thaïs [lire notre chronique du 17 novembre 2024], on retrouve Ruth Iniesta sur la scène stéphanoise, cette fois distribuée en Konstanze. La première impression laissée par le soprano espagnol dans son air d’entrée, Ach ich liebte, war so glücklich, est mitigée, d’une agréable musicalité et aux aigus et suraigus faciles, mais livré par un instrument sans doute plus large que les besoins du rôle et accompagné d’un vibrato présent. Les passages vocalisés ne sont pas toujours idéalement détachés, ce que confirme Martern aller Arten, air de bravoure dont elle se tire globalement avec abattage et panache. Juste avant ce passage, son Traurigkeit ward mir zum Lose est son meilleur moment, long air doloriste où passe l’émotion. Le chemin est un peu inverse concernant le Belmonte de Benoît-Joseph Meier qui fait preuve d’élégance et de souplesse vocale dans ses deux premiers airs, Hier soll ich dich denn sehen puis Konstanze! Konstanze! dich wiederzusehen. Mais les petits défauts d’intonation sur certaines attaques, ainsi que de fugaces décalages avec l’orchestre, s’amplifient au fur et à mesure jusqu’à Ich baue ganz auf deine Stärke, en début de troisième acte, où l’on perçoit une voix en difficulté et au timbre plutôt serré, émise depuis la hauteur de la plate-forme en fond de plateau [lire notre chronique de Tancredi].

Le deuxième couple, Blondchen et Pedrillo, l’emporte sur le précédent, y compris à l’applaudimètre final. Soprano colorature et très aigu, Marie-Ève Munger prouve d’emblée son adéquation au rôle, d’une pulpe vocale charmante et fruitée, avec notes piquées précises et ascensions maîtrisées vers le registre supérieur. Le personnage vit également avec naturel, d’une vis comica bien dosée, par exemple en préparant, parmi des amoncellements de casseroles, la pâte en chantant Durch Zärtlichkeit und Schmeicheln en début de deuxième acte [lire chroniques de Pastorale, Magdalena, Lakmé, L’enfant et les sortilèges, Le Pré aux clercs, Cenerentola, Fantasio, Ariadne auf Naxos, Die Vögel et La sorcière]. En Pedrillo, Kaëlig Boché se révèle davantage homogène, séduisant de timbre et un peu plus puissant que son collègue distribué en Belmonte, même si, dans l’absolu, le format reste celui d’un ténor mozartien [lire nos chroniques d’Il mondo della luna, Le tribut de Zamora, Hamlet, Sigurd et Zaide].

La basse géorgienne Sulkhan Jaiani, voix sombre à l’impressionnant creux dans le grave, compose un Osmin truculent [lire nos chroniques de Samson et Dalila et de Salome]. On se régale de ses interventions, jusqu’à l’air de l’Acte III, Ha! wie will ich triumphieren, chanté à pleine voix et en tablier de boucher. Ses duos et ensembles sont aussi de beaux moments, comme le face-à-face Ich gehe, doch rate ich dir avec Blondchen, au II, poêle en main pour elle et rouleau à pâtisserie pour lui. Denis Baronnet complète l’affiche dans le rôle parlé de Selim Bassa, assis auprès d’un gramophone dès avant le lever de rideau, ainsi qu’au final, comme s’il se remémorait l’ensemble de l’action de l’opéra.

Sous la direction alerte de Giuseppe Grazioli, l’Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire est réjouissant, même si l'on décèle quelques petits défauts de coordination, parfois aussi avec le plateau, certains soli aux vents pas toujours parfaits ou encore quelques passages un peu prosaïques qui ne caractérisent pas au mieux l’habituelle légèreté mozartienne. Peu sollicité dans cet ouvrage, le Chœur Lyrique Saint-Étienne Loire, préparé par Laurent Touche, et sans doute plus à l’aise dans les répertoire italien et français, ne marque pas non plus particulièrement les oreilles, ce soir.

IF