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Chroniques
Die Zauberflöte | La flûte enchantée
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart
Après l’étrange objet artistique apprécié à hier soir à la Felsenreitschule [lire notre chronique de la veille], quoi de plus naturel que de se rendre à la Haus für Mozart afin d’y assister à une représentation de Die Zauberflöte ? Une fois n’est pas coutume, l’intendant du Salzburger Festspiele, le pianiste autrichien Markus Hinterhäuser, donne une nouvelle chance à un metteur en scène en lui proposant de retravailler la production ici montrée il y a quatre ans. N'ayant pas vu la première version, nous ne nous adonnerons pas au jeu des comparaisons, moins encore au laborieux décompte des suppressions et ajouts.
D’emblée, on verra grand avantage à confier toute la narration et la majeure partie des dialogues à un comédien qui incarne ici le grand-père de trois bambins d’une famille guindée de Nouvelle Angleterre, au XIXe siècle : la maladresse générale des chanteurs dans cet exercice qui n’est point de leur art nous est donc épargnée. La transposition de Lydia Steier, dont les réalisations ont été plusieurs fois saluées dans nos colonnes [lire nos chroniques d’Armide, Les Troyens et Les Indes galantes (à Genève)], s’appuie avec superbe sur le décor vivant de Katharina Schlipf, vivant en ce qu’il est fort souvent en mouvement, suivant plusieurs axes circulaires indépendants qui renouvèlent fructueusement les angles de vue et, de ce fait, met en distance relative l’univers dans lequel ces enfants-là sont élevés – sur ce point, la fable initiatique qu’ils écoutent se fait aussi un peu la leur. Ainsi la maison à l’étage de laquelle se tient un repas pendant l’Ouverture – à droite de la salle à manger, la chambre des gamins, à gauche au rez-de-chaussée la chaufferie, au centre l’entrée directement sur la cuisine, à droite l’escalier – abritera-t-elle bientôt les personnages du conte : Tamino en soldat de plomb poursuivi par un dragon de papier, Pamina descendue d’un mystérieux portrait de quelque belle ancêtre, et ainsi de suite jusqu’au fils de boucher, fervent lutineur de la grotesque cuisinière sans cesse occupée à curer sa denture de la pire façon, dès lors assimilé à Papageno. Et les gentils ours en p’luche du dodo d’incarner les bêtes sauvages domptées par le héros !
On n’en finirait pas d’énumérer les trouvailles, toutes savoureuses, de Lydia Steier, qui s’est ingéniée à jouer, jouer tout le temps, sans générer pourtant d’encombrement, le théâtre ainsi inventé se concentrant toujours sur l’action, aussi profus soit-il. Les délices de cette mise en scène provoquent volontiers l’éclat de rire d’un public qui retrouve parfois ses yeux d’enfant et un sourire émerveillé. Il était pourtant loin d’être gagné que d’occuper cette petite scène par si imposante machinerie, scénographie finement ciselée par les lumières d’Olaf Freese et les vidéos par lesquelles Momme Hinrichs accompagne l’imaginaire fabuleux où papy embarque des petits, bientôt acteurs de l’aventure, bien sûr, à l’instar de leur mère, tyran domestique promu Königin der Nacht par son irascibilité naturelle. Encore Steier ne laisse-t-elle pas la dimension philosophique sur le bas-côté : le monde de Sarastro occupe les escaliers des cours d’immeuble, selon une organisation pyramidale où chaque vénérable melon trouve pour la place qui revient à sa redingote dans le Rite Anglais (United Grand Lodge of England) – Ursula Kudrna signe la vêture. Quant à la guerre entre les peuples, elle paraît survenir de mésententes familiales durables, chacun campant sur des positions plus ou moins tenables, convictions intimes souvent irrationnelles plutôt qu’abords argumentés, jusqu’à ce qu’éclate le conflit. Aux images naïves succèdent celles de la guerre, corps tronqués, gueules cassées, plaines jonchées de cadavres, etc., infiltrant le dernier opéra de Mozart de l’horreur du monde des adultes et du désenchantement induit. Rien de tel pour inviter à la concorde...
Plus grand encore est le plaisir lorsque les chanteurs semblent eux-aussi prendre le leur, comme c’est le cas ce soir. Dans la ronde qu’organise Roland Koch en Großvater, plusieurs incarnations brûlent les planches, par le haut niveau de la prestation vocale comme par la présence scénique. Ainsi de l’immense Sarastro de Tareq Nazmi, jeune basse favorisée par la nature et dont le chant affirme une précieuse musicalité [lire nos chroniques de Make no noise, Boris Godounov et Les Indes galantes (à Munich)] et du soprano bien aiguisé de Brenda Rae en belliqueuse Königin der Nacht. Ainsi encore de l’attachante Pamina de Regula Mühlemann dont le phrasé délicat fait merveille [lire nos chroniques de Das Labyrinth, Die Zauberflöte (à Paris), Le nozze di Figaro, Fidelio et de la Quatrième Symphonie de Mahler] et du suave Tamino de Mauro Peter [lire nos chroniques de Die Zauberflöte à Lyon et de Wozzeck à Salzbourg et à Zurich]. Ainsi, enfin, de l’excellent Michael Nagl qui livre un Papageno de bon aloi [lire notre critique de Der Prinz von Homburg]. Peter Tantsits n’est pas en reste en Monostatos grimaçant, quand Maria Nazarova soigne minutieusement la partie de Papagena [lire notre chronique du Coq d’or]. Saluons les belles interventions du ténor Simon Bode (Zweiter Proester, Erster geharnischter Mann) et du baryton-basse Henning von Schulman (Sprecher, Ertser Prister, Zweiter geharnischter Mann), sans oublier les trois Damen, Ilse Eerens, Sophie Rennert et Noa Beinart, qui forment un ensemble parfait. Bravo aux trois têtes blondes issues des Wiener Sängerknaben, ainsi qu’à Stefan Vitu, terrible Köchin puis Alte Papagena, et aux voix de la Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor, préparée par Jörn Hinnerk Andersen.
Au pupitre des Wiener Philharmoniker, Joana Mallwitz s’ingénie à magnifier l’agilité de l’écriture mozartienne et des musiciens, en parfaite osmose avec la mise en scène. On admire la vivacité avec laquelle elle infléchit chaque moment dans le climat idéal, la grande réactivité dont elle fait preuve au fil de la représentation, en toute circonstances, enfin le phrasé développé dans les passages les plus tendres. Une grande réussite, donc !
BB