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Chroniques
Dracula
film de Tod Browning – musique de Philip Glass
Soixante-huit ans après la sortie, en 1931, du Dracula de Tod Browning qui donne à Béla Lugosi un de ses plus grands rôles, les studios Universal ont confié à Philip Glass la tâche d’en (re)composer la bande-son – initialement, le film ne comporte que quelques lignes de musique pour accompagner les génériques de début et de fin. Le film fait ainsi l’objet d’une sortie DVD en 1999, avec une musique pour quatuor à cordes, enregistrée par le quatuor Kronos.
Parallèlement à la bande originale du film sortie la même année chez Nonesuch, on en trouve chez Orange Mountain Music une transcription pour piano réalisée par Michael Riesman – talentueux pianiste et interprète attitré, qui avait déjà pratiqué cet exercice avec la BO de The Hours. Trouvant sa composition un peu trop abrupte vers la fin, Philip Glass compose à l’occasion de cette transcription un ending digne de ce nom, épilogue récapitulatif joué parfois lors performances live (film et musique ensemble). En effet, la monumentale production de Glass pour le cinéma lui vaut depuis quelques années de tourner dans le cadre des soirées Philip on Film avec le Philip Glass ensemble (dirigé par Riesman). Pour ce Dracula, Philip Glass a laissé à son arrangeur le soin de reprendre la partition pour piano et cordes – sans ce ending, toutefois,ajouté à la version Piano solo de Riesman.
Outre l’atout du direct, l’autre intérêt majeur de la soirée réside en la présence de Philip Glass à un piano, de Riesman dirigeant à un autre, et du quatuor Kronos. On remarque avant tout que, pour l’occasion, la composition a été considérablement rallongée, si bien qu’il n’y a presque aucun silence durant la projection. Ainsi, alors qu’il s’agit d’un film « parlé », on a curieusement l’impression que les sous-titres agissent comme les intertitres d’un film muet. De la sorte, la musique agit comme un continuo qui s’étire tout du long. Selon ce qui apparaît à l’écran, Glass repique sur ce canevas les leitmotivs des personnages ou plaque des accords qui ajoutent à l’intensité dramatique : apparitions de Dracula, tempête, angoisse de la nuit et ainsi de suite. Le monologue de Harker, devenu fou, donne lieu à un long moment de pizzicato qui souligne le texte plus qu’il ne l’accompagne, et les moments hypnotiques durant lesquels Dracula exerce son ascendant charismatique trouvent dans des arpèges sinueux un remarquable écho.
Par le passé, d’aucuns ont reproché cette omniprésence de la musique dans certains films illustrés par l’Américain. Sans revenir sur ce débat, on constate que l’œuvre proposée ce soir dépasse la musique de film et se transforme en musique filmée, enrichie par la présence de prestigieux interprètes. Au demeurant, l’impression de complexité émanant de ce quatre-mains ponctuel aura sûrement rappelé aux amateurs les transcriptions pour deux pianos des Enfants terribles, initialement écrit pour trois [lire notre chronique du 5 décembre 2007].
Àen juger par les longs applaudissements qui ont valu aux artistes de saluer plusieurs fois, l’objectif est assurément atteint : mélange stylistique d’une époque cinématographique et d’un mode de composition musicale, Philip Glass fait du classique de Tod Browning un nouveau classique du cinéma d’avant-guerre.
JMC