Chroniques

par katy oberlé

El barberillo de Lavapiés | Le petit barbier de Lavapiès
zarzuela de Francisco Asenjo Barbieri

Theater, Bâle
- 3 octobre 2025
Couleurs et rythmes font cette zarzuela montée par Christof Loy à Bâle !...
© ingo höhn

Il fallait bien l’espièglerie d’un barberillo pour secouer la rentrée de l’Opéra de Bâle ! Sous la baguette allègre de Manuel Coves et dans la mise en scène pleine de verve de Christof Loy, El barberillo de Lavapiés retrouve sa fraîcheur originelle, celle d’une zarzuela où le théâtre et la rue, l’humour et la tendresse, l’élégance et la gouaille se répondent dans un tourbillon. Créée à Madrid en 1874, cette zarzuela grande en trois actes de Francisco Asenjo Barbieri est sans doute la plus célèbre du compositeur, parangon du genre espagnol au XIXᵉ siècle [lire notre chronique de Pan y toros]. Barbieri signait alors une œuvre raffinée qui devint vite populaire, vraisemblablement par un mariage heureux entre politique et sentimentalité. Dans le quartier pittoresque de Lavapiés, le barbier Lamparilla et la vive Paloma se trouvent mêlés à un complot qui oppose l’aristocratie et le peuple, tout cela sans perdre le rythme dansé d’une comédie pétillante.

Grande figure de la zarzuela romantique, Barbieri (1823-1894) a donné au genre son véritable lustre. Avant El barberillo, il avait déjà séduit Madrid avec Jugar con fuego (1851) et Los diamantes de la corona (1854), où alternent chœurs populaires et romances élégantes. Ce qui frappe dans son écriture, c’est la clarté orchestrale, l’invention mélodique immédiate et ce sens du théâtre qui alterne chanter et parler dans un équilibre très sûr. Sa musique ne cherche pas l’effet et cependant elle charme, comme aucune autre, par ses lignes enjôleuses et le naturel de ses danses – seguidillas, boleros, fandangos et marchas se succèdent dans une légèreté que peu d’opéras comiques européens surent manier si bien

À Bâle, Christof Loy [lire nos chroniques d’Il trittico, Werther, Guercœur, Der Schatzgräber, Zazà, Der ferne Klang, Das Wunder der Heliane, Alcina, Ariodante, Hamlet, Arabella, La fanciulla del West, Macbet, Die Frau ohne Schatten, Lucrezia Borgia à Munich, Les vêpres siciliennes, Alceste, Lulu, La donna del lago et Il turco in Italia], choisit d’alléger le contexte historique. Plutôt que d’insister sur les intrigues politiques au XVIIIe siècle, il opte pour une scénographie stylisée, presque intemporelle, où les personnages, costumés – pour ne pas dire déguisés… – par Robby Duiveman, glissent entre cabaret et comédie musicale dans une chorégraphie de Javier Pérez. Uniformes blancs, robes éclatantes, lumières franches : ici, tout respire la vitalité ! Les ensembles sont réglés en mécanique joyeuse et l’humour visuel, parfois passablement alourdi, se marie à la précision des dialogues. Le résultat ? Un divertissement plaisant, oui, mais sans aucune profondeur, qui donne à penser que l’on passe un peu à côté de l’œuvre.

La distribution participe largement de ce succès. En Lamparilla frondeur et charmeur, David Oller déploie un sens du rythme irrésistible. La Paloma de Carmen Artaza rayonne par son franc-parler et la souplesse du chant. Le couple noble, constitué par la Marquesita Estrella del Bierzo et Don Luis de Har, ajoute la touche de lyrisme qui équilibre le tableau, grâce aux prestations parfaites de Cristina Toledo et Santiago Sánchez. Souple et lumineux, le Sinfonieorchester Basel met en relief cette bigarrure de timbres et de sourires que Barbieri savait ciseler avec une main d’orfèvre, et que l’excellent José Miguel Pérez-Sierra, au pupitre, semble tenir à cœur [lire nos chroniques de Lucrezia Borgia à Bilbao, L’equivoco stravagante, Tosca, Armida et La Cenerentola].

En redonnant vie à El barberillo de Lavapiés, le Theater Basel rappelle combien la zarzuela, loin d’être une curiosité folklorique, est un art de la liberté. Barbieri, qui fut aussi chef d’orchestre, musicologue et fondateur du Teatro de la Zarzuela de Madrid, y défendait une idée très moderne pour son temps, celle d’un théâtre musical populaire, accessible et pourtant savant. Loy en retrouve la malice et l’énergie, bien qu’il en destine la sapience aux oubliettes. Sous ses couleurs pimpantes et son rythme allègre, El barberillo de Lavapiés cache le cœur d’un peuple qui chante pour exister, d’une Espagne urbaine et rieuse dont le musicien transmet la palpitation dans chaque mesure.

KO