Chroniques

par katy oberlé

Francesca da Rimini
opéra de Riccardo Zandonai

Teatro Regio, Turin
- 14 octobre 2025
Le rare FRANCESCA DA RIMINI de Zandonai retrouve sa scène natale : Turin...
© mattia gaido

Créée à Turin en février 1914, Francesca da Rimini unit l’élan du vérisme à la langueur d’un symbolisme finissant. Zandonai, disciple d’un romantisme tardif, y fonde un idiome à part : orchestration sensuelle, chant mi-déclamé mi-lyrique, architecture fluide d’où émane un parfum d’Italie. Si l’on y entend l’ombre de Debussy ou de Strauss, soulignons combien le compositeur, injustement réduit à cet unique opus par l’Histoire, fut l’un des artisans les plus raffinés du théâtre musical du début du XXe siècle. Autour du livret de Tito II Ricordi, d’après la tragédie que Gabriele d’Annunzio avait imaginée à partir du chant V de L’Enfer de Dante, Zandonai tisse un réseau d’échos où la volupté se fait destin. Peu de ses autres ouvrages (Conchita, Giulietta e Romeo, I cavalieri di Ekebù) auront bénéficié d’une telle fortune scénique, mais tous partagent ce même raffinement orchestral et cette tension tragique qu’exalte ce soir le Teatro Regio.

Le plateau vocal y met du sien, avec cœur. En Francesca, on découvre le grand soprano dramatique ukrainien Ekaterina Sannikova : la conduite est extrêmement sûre, la souplesse remarquable et l’on apprécie son timbre franchement émouvant. Le toujours charismatique Roberto Alagna lui donne la réplique en Paolo vaillant quoique parfois un peu tendu. Ferme, solide même, le baryton-basse Simone Piazzola campe un Gianciotto à la projection généreuse qui fait pardonner une intonation mise à mal par moments [lire nos chroniques de La traviata à Vérone, Falstaff à Madrid et Roberto Devereux ossia Il conte di Essex]. Par sa diction impeccable et l’évidence de l’émission, le ténor Matteo Mezzaro incarne un Malatestino remarquable. Ses qualités musicales se conjuguent à un vrai talent d’acteur [lire nos chroniques de Madame Sans-Gêne, Macbet, Enrico di Borgogna, Les vêpres siciliennes et Zoraida di Granata]. En fin belcantiste, le baryton Devid Cecconi campe un Ostasio élégant [lire nos chroniques d’Andrea Chénier, Simon Boccanegra et La Ciociara]. On retrouve avec bonheur le soprano très volumineux, facile, de Valentina Boi en Samaritana expressive à souhait [lire nos chroniques de La bohème à Trapani, Jérusalem et Edgar]. Et d’elle, le fin mezzo Silvia Beltrami présente le digne contrepoint, avec une Smaragdi tout en douceur [lire nos chroniques du Joueur et de Falstaff à Caen].

Les titulaires des rôles plus secondaires font parfaitement ce qu’il faut. C’est le cas du ténor Enzo Peroni en Toldo de bonne tenue [lire notre chronique de La traviata à Naples]. Le baryton Janusz Nosek ne demande qu’à révéler ses bons moyens dans des parties plus développées que celle du Giullare qu’il tient néanmoins avec fidélité. Encore faut-il saluer l’efficacité du quatuor de Dames, confié à Martina Myskohlid (Altichiara), Valentina Mastrangelo (Biancofiore), Sofia Koberidze (Donella) et Albina Tonkikh (Garsenda).

Sous la houlette d’Andrea Battistoni, récemment nommé directeur musical de l’institution piémontaise, l’Orchestra del Teatro Regio Torino se déploie avec souplesse et affirme une couleur magnifique. La lecture privilégie la clarté de la texture et la respiration du drame. Structure et émotion s’y marient sans excès, dessinant une mosaïque où chaque pupitre est mis en relief. La richesse des différents plans témoigne d’un soin constant du détail. Loin d’un vérisme tapageur, Battistoni [lire nos chroniques de Stiffelio et de La bohème à Amsterdam] adopte donc la retenue d’un théâtre intérieur, dont le flux orchestral se fait la pulsation dramatique. Le Chœur maison, préparé par Ulisse Trabacchin, répond avec cohésion et précision exemplaires.

Andrea Bernard [lire nos chroniques de La traviata à Busseto, Lucrezia Borgia et Don Carlo] signe la mise en scène qu’il confine dans un espace mental plus que narratif. Un grand cube blanc modulable conçu par Alberto Beltrame figure une chambre de mémoire et de désir, traversée de symboles visuels – scarpette rosse déposées avant la mort, les silhouettes enfantines qui hantent le récit. D’une élégance épurée, cette scénographie convie la transparence et le clair-obscur des lumières de Marco Alba. Les costumes sobres d’Elena Beccaro situent le drame dans le temps de Zandonai, à la fin du XIXe siècle et la modernité naissante. Servie par une maîtrise indiscutable, la production n’est pas seulement intelligente : elle est assez poétique pour conférer au mythe la distance nécessaire à la compassion.

On aime !

KO