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Chroniques
Fromental Halévy | L’éclair, opéra-comique (version de concert)
Julien Dran, Éléonore Pancrazi, Leonardo Rafael, Edgardo Rocha, Claire de Sévigné
Ayant vu le jour la même année que La Juive (1835, à l’Académie royale de musique), œuvre appréciée ici-même hier soir [lire notre chronique de la veille], l’opéra-comique en trois actes L’éclair, créé précisément à l’Opéra Comique (Paris), ne jouit pas de la même notoriété. À ce jour, il n’en existe d’ailleurs aucun enregistrement officiel, mais le Grand Théâtre de Genève devrait combler rapidement ce manque. C’est en effet à une exécution de concert, donnée une seule fois, que le public, venu en petit nombre, assiste ce dimanche soir, l’événement étant enregistré pour son édition prochaine.
C’est l’Orchestre de Chambre de Genève qui officie en fosse, sous la direction de Guillaume Tourniaire [lire nos chroniques des Aveugles, de L’elisir d’amore et du Chalet, ainsi que notre critique de son CD consacré aux ballets d’opéras de Saint-Saëns]. Ancien chef de chœur au Grand Théâtre, on sait l’artiste friand de raretés et, à cet égard, on se souvient, de sa direction d’Ascanio de Saint-Saëns avec les forces genevoises, en 2017, qui avait également donné lieu à une gravure [lire notre recension du CD].
Les musiciens livrent le meilleur d’eux-mêmes, sans éviter d’infimes et discrets décalages sur certaines attaques des cordes. L’Ouverture est enjouée, brillante mais pas tonitruante, avec des mélodies le plus souvent menées par la flûte et le piccolo, sans oublier une touche militaire transmise par le tambour, sans doute pour évoquer la position de Lionel, officier de la marine américaine. L’argument du livret de Vernoy de Saint-Georges (1799-1875) rassemble quatre personnages : George doit se marier s’il veut hériter, mais il ne sait choisir entre les deux sœurs, Henriette et Madame Darbel. Le coup de théâtre se produit en fin de premier acte, lorsque Lionel perd la vue à la suite d’un redoutable éclair, passage accompagné par force timbales et grosse caisse. Après recouvrement de sa vision et jeux croisés entre les couples, façonCosì fan tutte, Lionel peut finalement épouser l’aimée Henriette, Madame Darbel et George convolant de leur côté.
Amateurs de voix graves, s’abstenir !
L’ouvrage requiert deux ténors, un soprano et un mezzo. Les quatre parties sont assez équilibrées, mais c’est tout de même Lionel qui tient le beau rôle, défendu par Edgardo Rocha [lire nos chroniques de La gazzetta, Les pêcheurs de perles, Anna Bolena, Agnese et La Cenerentola]. Dès son air d’entrée, très long, le ténor uruguayen doit alterner entre séquences agitées et moments élégiaques au style di grazia qui convient idéalement. Sa fréquentation assidue du répertoire belcantiste (Rossini et Donizetti en tête) s’entend dans une émission concentrée dans le masque, quand la diction française s’avère simplement de bonne qualité. Les dialogues, nombreux dans cet opus, sont confiés au comédien Leonardo Rafael, afin que l’interprète puisse se concentrer sur le chant, en considération du temps réduit qui fut dédié aux répétitions. Rocha se montre à son meilleur dans le seul air connu de la pièce, Quand de la nuit l’épais nuage, enregistré par différents ténors. L’introduction du hautbois rappelle celle de Rachel, quand du Seigneur de La Juive. Le tissu orchestral est peu épais et le legato du chanteur déroulé avec élégance.
En George, Julien Dran dispose à la fois d’un volume important et d’une qualité supérieure dans la prononciation. La voix se projette avec force, le timbre est clair et agréable, conférant au chanteur tous les atouts pour défendre le répertoire français [lire nos chroniques d’Aida, du Mage, de Renaud, Dialogues des carmélites, Lucia di Lammermoor, La traviata, Káťa Kabanová, I Capuleti e i Montecchi, Les pêcheurs de perles, Robert le diable, Le soulier de satin et Les Troyens à Carthage]. Tout comme ses consœurs, il prend à sa charge les textes parlés, faisant passer une dose d’humour. Les deux chanteuses ont des caractéristiques vocales similaires : beaucoup de séduction dans le timbre, instrument d’une agréable rondeur, intonation précise et diction appliquée. Au cours des premiers dialogues d’Henriette, on entend que Claire de Sévigné n’est pas francophone mais, quant au chant, la voix est aérienne et agile [lire nos chroniques d’Aida, Les Indes galantes et Die Entführung aus dem Serail]. Éléonore Pancrazi compose une Madame Darbel pleine d’esprit, la voix est riche et de noble couleur, plus puissante aussi que celle de sa collègue [lire nos chroniques de L’heure espagnole, L’île du rêve, Le nozze di Figaro et Lucrezia Borgia].
Les numéros – nombreux airs et duos, trios, un superbe quatuor – s’enchaînent entre les dialogues et présentent une écriture vocale élégante et émaillée de difficultés. Les solistes sont cependant assignés à résidence derrière leur pupitre et un micro (pour les besoins de la captation), ce qui empêche toute velléité de jeu ou d’interaction entre les personnages. On imagine aisément qu’une mise en scène, dans un théâtre de dimension plus modeste, magnifierait encore plus cet opéra-comique de valeur.
IF