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Chroniques
Gavin Bryars, Charles Ives et Steve Reich par Tom De Cock
Ictus, Orchestre de l’Opéra national de Lorraine et Synergy Vocals
Invitée de la quarantième édition de Musica – jusque sur l’affiche, d’ailleurs, où son œil apparaît, reflété par un miroir de poche –, Kaija Saariaho a rencontré le public le 16 septembre dernier, en amont de l’opéra Only the sound remains et, le lendemain, d’une projection d’Innocence (2021) [lire nos chroniques du 23 janvier 2018 et du 3 juillet 2021]. On put aussi entendre quelques pièces chambristes confiées à des compagnons de longue date (Hoitenga, Karttunen, Lindberg), le 17, et deux pages orchestrales, le 22, en compagnie de l’Orchestre national de Metz.
Restons dans le Grand Est puisque, quinze jours après le concert d’ouverture, le festival alsacien fait une étape à Nancy, le temps d’un week-end, pour sa clôture. Notre soirée mêle des musiciens de l’ensemble Ictus et de l’Orchestre de l’Opéra national de Lorraine dont les cordes, en retrait, tissent « une trame harmonique imperturbable, […] sans pulsation perceptible » (dixit Alain Galliari, dans la brochure de salle), au cœur de The unanswered question, révisé par Charles Ives au début des années trente. Face à la salle, Tom De Cock [lire notre chronique du 4 septembre 2022] dirige le trompettiste installé au centre du parterre, à la croisée de deux allés, tandis que quatre autres instruments à vents résonnent au balcon côté jardin.
La création complète de l’œuvre suivante, Proverb, date de 1996 – et non de 1955, comme l’affirme une étourderie de la brochure évoquée plus haut : à l’époque, Steve Reich est même encore loin d’avoir enregistré le prêche sur le Déluge de frère Walter (It’s gonna rain, 1965), et le témoignage de Daniel Hamm, victime de violences policières à Harlem (Come out, 1966). Fondé sur des mots du philosophe Wittgenstein, inspiré par l’art de Pérotin, ce quart d’heure oppose avec bonheur le chant de trois soprani à celui de deux ténors, doublé par deux orgues électriques. En revanche, le couple de vibraphones n’occasionne pas l’effet de transe fréquente chez le New-yorkais et demeure simplement percussif, à savoir irritant.
Malgré ses cordes consolatrices ou grinçantes, la première version de The sinking of the Titanic (1972) de Bryars déçoit également – au départ, simple texte exposé comme une œuvre d’art, précise son auteur : « j’essayais d’imaginer les effets de réverbération et de distorsion que le son des instruments utilisés par l’orchestre au moment du naufrage aurait produit s’ils avaient continué à jouer, même après avoir été engloutis » (in Gavin Bryars en paroles, en musique, Le mot et le reste, 2020) [lire notre critique de l’ouvrage]. Le travail de collage à partir de l’ultime mélodie entendue en ce 14 avril 1912, saupoudré de voix et de bruits, séduit émotionnellement car il confronte présent et passé de manière immersive, mais beaucoup moins musicalement, comme on l’écrivit déjà d’une version récente, enrichie [lire notre chronique du 22 octobre 2012].
Enfin, nous retrouvons les membres de Synergy Vocals pour un second rendez-vous avec Reich. Ce dernier explique pourquoi la conception de Tehillim (1981) – psaumes en hébreu, dans le sens de louanges – s’accompagna d’une grande liberté : « une des raisons pour lesquelles j’ai choisi des psaumes et non des extraits de la Torah ou des prophètes réside dans le fait que la tradition orale du chant des psaumes s’est perdue chez les Juifs d’Occidents » (in Steve Reich, Différentes phases, La rue musicale, 2016] [lire notre critique de l’ouvrage]. Soignée autant que jubilatoire, l’interprétation couronne un concert aux pièces enchaînées sans entracte, que l’on retrouvera bientôt sur les ondes de France Musique. Sera-ce le 5 ou le 19 octobre ? L’information varie d’un document à l’autre…
LB