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Chroniques
Georges Dandin ou Le mari confondu
comédie de Molière – musique de Jean-Baptiste Lully
« C’est une chose étrange qu’on imprime les gens malgré eux. Je ne vois rien de si injuste, et je pardonnerais toute autre violence plutôt que celle-là », avance Molière en préface des Précieuses ridicules (1660). Bien malgré lui, Jean-Baptiste Poquelin (1622-1673) se voit alors, au quadricentenaire de sa naissance, conforté suprême homme de lettres français par tant et tant d’amateurs qui s’attardent à la forme – la langue de Molière – plutôt qu’au fond. Rendons donc grâce à Michel Fau, chargé de la mise en scène et du rôle principal de George Dandin, à même d’exprimer sur scène, par une voix très prenante, un coffre solide ainsi qu’à l’aide d’un peu de gouaille, le parfait bon sens ordinaire de ce théâtre-là.
Grâce à l’énergie à revendre de sept comédiens survoltés – mentions spéciales au bestial Lubin de Florent Hu et à l’irrésistible Madame de Sotenville d’Anne-Guersande Ledoux –, tous maîtres d’un texte plein de finesse autant qu’habiles aventuriers dans un jeu audacieux à travers quelques âpres gauloiseries, le ton de la farce est vite adopté. Le dindon s’y nomme Dandin, riche paysan d’âge mûr, jaloux de sa jeune épouse un brin coureuse ainsi que de sa belle-famille, tous nobles déclassés. Bien vite transparaît le ridicule, aux premiers regards portés sur les maquillages, coiffes et costumes conçus par Véronique Soulier Nguyen et Christian Lacroix, d’une fantaisie incroyable, leur opulente élégance baroque respectant la conception première de George Dandin, œuvre hybride créée en 1668 à Versailles en tant que comédie-ballet et partie intégrante d’un somptueux divertissement royal.
Le plateau de l'Athénée Théâtre Louis-Jouvet semble beaucoup trop étroit pour en rendre tout le faste originel, seulement perceptible par quelques clins d’œil (statues de la Paix et de la Victoire sur les côtés, toile fleurdelisée au fond) au sein du décor unique, signé Emmanuel Charles, en forme de large monticule central. Mi-chêne mi-chapelle, cette verticale présence, aussi inquiétante que féérique, donne lieu à une représentation étagée de l’action (souvent selon les niveaux de classe sociale), qui fait l’impasse des danses. Fort heureusement, il reste la musique de Lully, comptant pour un petit tiers du spectacle. La courte pastorale est entrelardée à travers la pièce toute en comique de situation, soutenue par les ridicules tentatives d’éclaircissement par le nigaud en titre. Dès lors, entre les deux formes artistiques si différentes, avec pour thème commun le désespoir amoureux, les contrastes d’expression montent haut, déstabilisent et laissent une impression étrange, soulignée par les lumières de Joël Fabing, tout à la fois larges au premier plan, crues et rougeoyantes – à l’exception du nocturne, au dernier acte.
Pendant les intermèdes, de part et d’autre du fond de scène, l’Ensemble Marguerite Louise est mené avec malice, depuis le clavecin, par Gaétan Jarry pour donner à la fête son corps musical. En accompagnant les jeunes chanteurs, harmonieux, cantonnés dans de très brèves saynètes lyriques, le plaisir du beau vers de Molière ressort d’autant mieux, servi par le charme doux et frais du soprano Cécile Achille (Cloris), l’ardeur tout en maintien du baryton David Witczak (Philène) et enfin, chez le ténor montréalais François-Olivier Jean, la force et l’habileté (Tirsis), puis l’intéressante ampleur de l’ambitus et la qualité démonstrative (Berger, dans la paisible conclusion).
Si bien posé sur un petit orchestre, Ici l’ombre des ormeaux donné par Juliette Perret (Climène), soprano au chant empli d’émotion et de vigueur printanières, est l’air annonciateur, à la tombée de la nuit, de l’opéra de Lully encore à venir.
FC