Recherche
Chroniques
Gioachino Rossini | Armida, opéra en version de concert
Chœur et Orchestre Philharmoniques de Cracovie, José Miguel Pérez-Sierra
Premier titre de la période napolitaine de Rossini, opera seria créée en 1817 pour le Teatro San Carlo, Armida reste encore rarement joué. Il est donné ce soir en représentation de concert pour l’ouverture du festival Rossini in Wildbad, avec aux commandes José Miguel Pérez-Sierra, l’un des spécialistes du compositeur. Régulièrement invité à Bad Wildbad, ainsi qu’au Rossini Opera Festival de Pesaro, le chef espagnol était d’ailleurs au pupitre de l’Orchestre de l’Opéra de Marseille à l’automne dernier pour Armida – déjà en concert, à croire que cet opus serait impossible à mettre en scène [lire notre chronique du 31 octobre 2021]… Toujours est-il que sa direction enlevée, à l’enthousiasme parfois presque assourdissant dans cette salle à l’acoustique forte, maintient l’intérêt et l’attention, menant l’entreprise à bon port. En particulier lors des séquences de ballet du deuxième acte, qui, non dansées, pourraient paraître comme un long tunnel mais passent comme un charme. Les musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Cracovie (Orkiestra symfoniczna filharmonii im. Karola szymanowskiego w Krakowie) produisent une belle prestation dans l’ensemble, même si les solistes les plus exposés (cor solo dès l’Ouverture et violoncelle plus tard) n’atteignent pas toujours l’intonation parfaite. Les choristes du Chœur Philharmonique de Cracovie (Chór Filharmonii im. Karola szymanowskiego w krakowie) se montrent vaillants et d’un son collectif homogène, autant les hommes que les femmes qui interviennent à partir du deuxième acte.
Mis à part le rôle-titre particulièrement exigeant, la première nécessité de la distribution vocale est de rassembler des chanteurs pouvant tenir les six rôles de ténor composés par Rossini, très difficiles pour la plupart. La majorité des théâtres alignent quatre ténors, en cumulant Gernando et Ubaldo d’une part – Gernando mourant en fin de premier acte, il est possible de recycler l’interprète – et Goffredo et Carlo de l’autre. Arrivant seulement au troisième acte, les emplois d’Ubaldo et Carlo sont certes de moindre importance dans l’intrigue, mais ils s’avèrent essentiels vocalement, puisqu’ils prennent part au fameux trio de ténors, In quale aspetto imbelle.
C’est donc une prouesse que le festival réunisse six interprètes, relevant le défi haut la main. En tête, le Rinaldo de Michele Angelini confirme sa place parmi les meilleurs : paraissant s’être élargi depuis ses dernières prestations [lire nos chroniques d’Il barbiere di Siviglia et de La scala di seta], l’instrument montre une vélocité rare dans les passages rapides et c’est assurément le roi du suraigu de ce concert, en ajoutant régulièrement des notes perchées à très haute altitude. En Gernando, Patrick Kabongo semble lui aussi avoir gagné en volume, toujours très élégant dans sa ligne vocale et agile dans l’exécution des difficultés [lire nos chroniques de Moïse et Pharaon et de L’equivoco stravagante]. La confrontation entre les deux, en fin d’Acte I, est une véritable joute vocale, avec des intervalles vertigineux et de folles excursions vers l’aigu. Intervenant un peu plus tôt, le Goffredo de Moisés Marín projette ses aigus avec force, tandis que le grave, bien présent, amène une autorité palpable à ses récitatifs.
Eustazio est assurément la partie de ténor la moins développée, mais Manuel Amati ne s’en met pas moins à son service d’une voix assurée [lire nos chroniques d’Arianna a Nasso et d’Il signor Bruschino]. Le ténor chinois Chuan Wang défend Carlo avec ses grandes qualités : l’agilité et un aigu très mordant et concentré. D’un format différent, César Arrieta est une belle découverte en Ubaldo ; l’instrument semble sensiblement plus large, homogène et émis davantage dans le masque [lire notre chronique de Die Entführung aus dem Serail]. Le baryton-basse Jusung Gabriel Park (Idraote) et la basse Shi Zong (Astarotte) complètent avantageusement le cast masculin.
Dans l’unique rôle féminin – non des moindres, magnifié entre autres par Maria Callas –, Ruth Iniesta convainc sans réserve, passé un bref temps de mise en place dans ses premières vocalises. Le soprano fait valoir un timbre séduisant, une musicalité sans faille, un médium de caractère et un registre aigu puissant [lire nos chroniques de Carmen et de Falstaff]. Son long et périlleux air du II, D’Amor al dolce impero, est interprété avec goût et abattage, ajoutant du panache à l’aigu final, longuement tenu. C’est encore le cas de la conclusion de l’opéra, à partir d’E vivo ancor, où elle affirme une forte présence dramatique, sans doute un peu discrète dans l’extrême grave, mais les aigus partent comme des flèches, jusqu’au dernier emballement, plein de fureur.
IF