Chroniques

par françois cavaillès

Giuseppe Verdi | Nabucco (opéra en version de concert)
Stepan Drobit, Ewa Vesin, Peter Martinčič, Julien Henric, etc.

Chœur et Orchestre de l’Opéra de Toulon, Yi-Chen Li
Palais Neptune / Opéra de Toulon (saison hors les murs)
- 3 avril 2025
Nabucco, opéra de Giuseppe Verdi, en version de concert à Toulon
© kévin bouffard

Par-delà le goût âpre de la partition et l’épaisseur plus abracadabrante que biblique du scénario, il flotte sur Nabucco un parfum d’émancipation de l’Italie, que transmet le fameux chœur Va pensiero, bien entendu. Créé au Teatro alla Scala en 1842, le grand succès de Verdi précède l’amer Fernet-Branca, digestif inventé à Milan en 1845 puis apprécié à travers le monde, depuis – quand ont coulé, tels le mousseux fruité Terre Verdiane 1813, le vin rouge parmesan Nabucco et le verdâtre cocktail Verdi, bien des alcools dédiés au maître de Busseto, par ailleurs amateur de vermouth turinois Carpano notamment. Aujourd’hui encore, passées les raisons politiques de son succès historique, le singulier dramma en forme de puissante fresque babylonienne peut se déguster comme plaisant apéritif. Ainsi donné à l’Opéra de Toulon en version de concert et sous une forme un peu allégée.

Dans l’initiale brume répandue aussi rarement sur le port tout proche par les trombones, la pression rythmique de l’Ouverture apparaît vite, doté d’une énergie percutante pour donner l’assaut général. Précis et généreux aux magnifiques préludes, l’Orchestre de l’Opéra de Toulon, mené par Yi-Chen Lin, accompagne à bons rythmes le Chœur maison que dirige Christophe Bernollin, formation renforcée par des artistes du Chœur de l’Opéra Nice Côte d’Azur. Exquisément la harpe se marie au chant onctueux des Vierges juives.

Dans les premiers rôles, les voix plantureuses sont bientôt du rendez-vous. À commencer par l’élégant recto tono de la basse noble Peter Martinčič (Zaccaria), en place pour D’Egitto là sui lidi, cavatine suivie de Come notte a sol fulgente, cabalette bien élancée, puis d’une prière inspirée, au chant élargi [lire notre chronique de Rigoletto]. Ses menaces grondent à plaisir, pour le premier finale, face au Nabucco de Stepan Drobit, honorable baryton verdien, à son meilleur dans l’Acte IV pour l’idéale invocation et la rugissante cabalette conclusives, et peut-être moins à l’aise au II dans l’étrange air de la folie que dans la lamentation conséquente, confondante de tendresse, pour sa fille présumée, l’Abigaïlle grand format d’Ewa Vesin [lire nos chroniques de L’ange de feu et de Tosca]. Leur long duo, fini avec splendeur au III, révèle une tragédienne, certes sobre, mais au lyrisme munificent. Le soprano polonais garde un appel au pardon fragile mais efficace, pour achever une prise de rôle autant délicate que de se sentir jetée aux lions, abandonnée dans le froid, presque orpheline... En plus, la pauvre esclave rencontre un comprimario ardent et séduisant en l’Ismaele du ténor Julien Henric [lire nos chroniques d’Anna Bolena, Turandot, Norma, Hamlet, Roméo et Juliette, Lucie de Lammermoor, Don Carlos, Guercœur, Tristan und Isolde et Dialogues des carmélites], et sa rivale Fenena, campée par le mezzo cajoleur d’Emilia Rukavina, ne manque pas de charme non plus. La distribution se montre donc solide, même chez le dévoué Abdallo du délectable ténor Blaise Rantoanina [lire nos chroniques de Die Entführung aus dem Serail, Il Turco in Italia et Die Zauberflöte], la céleste Anna du soprano Camille Chopin et le Grand-Prêtre Baal assuré par la basse Stephano Park.

Sur l’intrigue tendue sur le fil sonore s’impose la force collective de ce Nabucco. Outre la présence admirable de la large formation chorale, imparable dans Va, pensiero et Il maledetto, ainsi que les merveilles d’orchestration sous les yeux de tous (et non plus cachées en fosse), les ensembles sont vraiment remarquables, comme le trio amoureux augural, fondu à souhait, puis rejoint par le chœur en un allegro agitatissimo épique. Dans un esprit de sacrifice individuel, les chants brûlent pour le tableau incandescent du premier final, stretta comprise, au meilleur d’une soirée lyrique bien remplie qui tire sa révérence en une promesse sacrée : Servendo a Jehovah, sarai de’ regi il re (À servir Jéhovah, tu seras le roi des rois).

FC