Recherche
Chroniques
Gustav Mahler | Symphonie en la mineur n°6
Daniel Harding dirige les Berliner Philharmoniker
Entendre les Berliner Philharmoniker dans leur salle reste un plaisir unique, même lorsqu’au dernier moment, et pour la deuxième fois en quelques mois dans un programme consacré à Gustav Mahler, le chef initialement prévu est remplacé [lire notre chronique du 14 juin 2014]. Kirill Petrenko annoncé souffrant, c’est Daniel Harding qui dirige cette Symphonie en la mineur n°6 en quatre mouvements – « la seule Sixième malgré la Pastorale » d’après Alban Berg (« es gibt doch nur eine VIte, trotz der Pastorale », lettre à Anton von Webern).
Depuis son interprétation munichoise de l’automne, nous savions que Petrenko y aurait favorisé l’option de l’Andante en deuxième position, à l’inverse de Yannick Nézet-Séguin à Paris [lire notre chronique du 19 septembre 2014] ou de Daniele Gatti récemment, validant par ce choix les publications soutenues par la Gilbert Kaplan Foundation plutôt que celles d’Henri-Louis de La Grange. Rappelons qu’au moment où il écrit cette œuvre (1906), Gustav Mahler vivait une période faste, excepté sur un point : son statut très polémique de compositeur, tandis que celui de chef se trouve au firmament. Au dernier moment, il accepte le conseil d’un ami d’inverser les deux mouvements centraux, à cause de la trop proche similitude des accords initiaux de l’Allegro et du Scherzo. On sait aussi qu’il rétablira ensuite l’ordre initial et le jugera même définitif auprès de chefs et amis, dont Willem Mengelberg. Pourtant, la structure la plus fréquente au concert ces dernières années est celle d’un Andante placé directement après l’Allegro, alors qu’il offre une trêve entre deux premiers épisodes très dynamiques et un dernier éprouvant, s’il est en troisième position. Pourquoi Daniel Harding défend lui aussi cet ordre, nous l’ignorons.
L’Allegro energico a rarement aussi bien porté son nom, tant la célérité des cordes et la nervosité des coups d’archet résonnent si sûrement dans cette acoustique. Renforcée par un son plein, la vaillance génère un rendu différent de ce à quoi le chef britannique nous a habitués avec d’autres orchestres, bien loin de la luminosité de son Heldenleben parisien de juillet. La pause créée par l’Andante est de courte durée, excluant tout pathos et toute élévation, bien que les dernières notes à la flûte soient particulièrement réussies. Le Scherzo retrouve l’élan initial, avec un staccato encore plus marqué qui prépare l’auditeur à un Finale fort impressionnant dans lequel Harding ne relâche jamais la pression durant près de quarante minutes.
Dans cette lecture les Berliner Philharmoniker avancent tel un rouleau compresseur qui ne s’écarterait jamais de sa route, exécutant avec splendeur chaque trait. Car si d’aucuns y auront entendu rage, désespoir ou autres caractères intrinsèques à cet opus, toutes ces particularités ne sont jamais complètement validées par Harding, surtout en ce qui concerne le versant tragique, ici quasiment absent. Tous ces accents émotifs ne semblent ressortir que parce que le chef maintient superbement le tout, et qu’on attend à chaque instant une nouvelle entrée d’instrument, un nouvel échange entre le hautbois d’Albrecht Mayer et la flûte d’Emmanuel Pahud, entre Dominik Wollenweber au cor anglais et Alexander von Puttkamer au tuba basse. On se délecte des soli du premier cor (Jörg Brückner, venu pour l’occasion des Münchner Philharmoniker) et des accords Marie-Pierre Langlamet (harpe) auxquels le premier violon Daniel Stabrawa apporte un lyrisme bienvenue, qui tranche parfois avec le son moins inspiré de l’ensemble.
Ce concert confirme une nouvelle fois la supériorité de cette formation sur la scène mondiale. Il atteste également des grandes qualités de Daniel Harding, tout en montrant les orientations de la jeune génération, vers la légèreté des timbres et le refus du pathos. Dans de telles conditions d’écoute, gageons que nous parviendrons à nous adapter.
VG