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Chroniques
Il Turco in Italia | Le Turc en Italie
opéra de Gioacchino Rossini
En coproduction avec le Teatro Real de Madrid et le Nouveau Théâtre national de Tokyo, la mise en scène d’Il Turco in Italia par Laurent Pelly, créée dans la capitale espagnole à la fin mai 2023, fait une entrée remarquée au répertoire de l’Opéra national de Lyon. L’artiste français, également en charge des costumes, choisit de situer l’action dans l’univers du roman-photo des années 1970. La Une du magazine Carina, datée de 1971, ferme le cadre de scène pendant l’Ouverture, en montrant la photo d’un couple passionné et affichant la mention Amore che non ho conosciuto (Amour que je n’ai pas connu). Le rideau se lève ensuite sur deux pavillons et jardins respectifs, aux couleurs acidulées, et Fiorilla allongée sur une chaise longue qui feuillette le magazine en rêvant à une vie plus trépidante. Don Geronio, son époux, sort du garage avec la tondeuse à gazon, puis le tuyau d’arrosage pour entretenir le jardinet. Prosdocimo émerge, quant à lui, à la fenêtre de la maison voisine, en robe de chambre sale et survêtement défraichi, tapant sur sa machine à écrire à la recherche d’inspiration pour sa nouvelle comédie. Ce sont aussi des planches de roman-photo qui prennent place sur la paroi du fond, d’autres pages descendant des cintres au cours de la soirée. Le jeu des acteurs est réglé sur cette esthétique vintage : poses régulièrement caricaturales, gestuelle exagérée dans son amplitude. Des cadres vides sont aussi positionnés parfois devant les protagonistes, ceux-ci devenant ainsi les personnages du roman-photo.
La distribution vocale est d’un excellent niveau, à commencer par Adrian Sâmpetrean dans le rôle-titre de Selim. La basse roumaine possède les graves profonds du rôle et sa voix est particulièrement souple pour les passages d’agilité. L’air d’entrée, Bella Italia, alfin ti miro, chanté alors qu’il est perché entre les pages d’un magazine, torse nu sous une veste largement ouverte, produit un bel effet [lire nos chroniques de Don Giovanni et de Moïse et Pharaon à Aix-en-Provence]. Passé un air d’entrée qui paraît légèrement prudent pour ce qui concerne le volume (Non si dà follia maggiore), la Fiorilla de Sara Blanch emporte un succès considérable, parfaitement mérité. Le soprano colorature se joue des difficultés de la partition, entre vocalises virtuoses, notes piquées très précises et trilles suspendus. L’actrice est également comme un poisson dans l’eau, usant surtout du registre comique, mais sans exclure l’émotion, comme au cours de son grand air du deuxième acte, Squallida veste, e bruna, alors qu’elle se voit répudiée par son mari [lire nos chroniques de L’enigma di Lea, Corradino et La fille du régiment].
Remplaçant au pied levé Renato Girolami souffrant, le Don Geronio de Giulio Mastrototaro n’eut que quelques heures pour répéter et la performance du baryton italien n’en est que plus méritoire [lire nos chroniques de L’elisir d’amore, L’Italiana in Algeri, La bohème, Romilda e Costanza, L’equivoco stravagante et Un giorno di regno]. La voix est puissante, le vibrato sous contrôle et le sillabato bien déroulé – on craint pour lui au cours du duo avec Fiorilla, en fin de premier acte, quand le rideau se baisse inexorablement en avant-scène : le soprano lui fait furtivement signe de s’avancer et deux techniciens font irruption du bord de plateau, prêts à intervenir... mais pas d’incident, et certains spectateurs se demandent d’ailleurs s’il s’agit d’un gag de la mise en scène ! Autre baryton, Florian Sempey se montre, en Prosdocimo, généreux pour le chant et drôle pour ce rôle de poeta quimanigance. Le style est volontaire, l’agilité ne lui pose aucun problème, ayant beaucoup fréquenté Figaro ces dernières années, et le chanteur fait de temps à autre démonstration d’une projection spectaculaire en enflant une note [lire nos chroniques du Mage, d’Alceste, Madame Sans-Gêne, Maria Stuarda, Don Pasquale, Les Huguenots, Les Indes galantes, La favorite, L’ange de Nisida, Faust et Lucie de Lammermoor, ainsi que du Barbiere di Siviglia à Paris et à Toulouse]. En Narciso, Alasdair Kent ne dispose pas de cette force de projection, typique ténor rossinien de volume assez réduit, très agile pour ses nombreux passages fleuris et pouvant gérer au mieux les larges intervalles, mais parfois un peu aventureux dans les suraigus. Perruque rousse et nœud papillon sur chemise jaune, son personnage d’amant de Fiorilla venu au domicile du couple pour offrir des chocolats se veut caricatural. Jenny Anne Flory (Zaïda) et Filipp Varik (Albazar), solistes du Lyon Opéra Studio, complètent avantageusement une distribution de qualité et homogène [lire nos chroniques de Wozzeck et d’Andrea Chénier].
Chef rossinien reconnu, Giacomo Sagripanti dirige un Orchestre maison avec une agréable vivacité [lire nos chroniques d’I Capuleti e i Montecchi, Carmen, Ricciardo e Zoraide, Lucrezia Borgia, Moïse et Pharaon à Pesaro, I puritani et La traviata]. Mis à part un fugace caprice de trompette pendant l’Ouverture, les musiciens font preuve d’une solide technique, en particulier les bois pour leurs rapides soli. On détecte tout de même de petits décalages entre plateau et fosse au cours d’un trio ou d’un quatuor. Le chœur est lui aussi bien en voix, davantage la partie masculine, plus présente et homogène.
IF