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Chroniques
Johann Sebastian Bach – BWV 201 et BWV 205
Leonardo García Alarcón dirige le Philhar’
Deux cantates de Johann Sebastian, ce soir, à l’Auditorium de la Maison de la radio et de la musique… ou plutôt deux dramma per musica, presque des opéras, au fond, composés sur des sujets profanes. Nous entendons d’abord Geschwinde, ihr wirbelnden Winde BWV 201 (Vite, vents tournoyants), également connu sous le titre Der Streit zwischen Phoebus und Pan (La controverse entre Phébus et Pan), une œuvre par laquelle Bach plongeait, en 1729, dans Les métamorphoses d’Ovide via Picander (Christian Friedrich Henrici, 1700-1764), poète saxon qui souvent contribua aux livrets des cantates de Bach, de même qu’à la Passio Domini nostri Jesu Christi secundum Evangelistam Matthæum, et peut-être même à l’Oster-Oratorium. Leonardo García Alarcón, à qui sont aujourd’hui confiés les musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, rappelle en amont du concert que le compositeur indiquait plutôt motetto ou concerto vocale en frontispice de ce que nous appelons désormais cantates, et qu’il n’existe « que quelques cantates dans le catalogue de Bach, uniquement pour une voix soliste, comme c’était alors l’usage en Italie ».
Outre le faste et la souplesse subtile de l’inflexion instrumentale, magnifiée par Rodney Prada à la viole de gambe, par Adrià Gràcia Gàlvez à l’orgue, enfin par l’excellent Quito Gato au luth et à la guitare, nous goûtons d’emblée la magnificence du chœur à six voix, servi dans un équilibre parfait par les solistes qui auront dès après à incarner les personnages empruntés à la mythologie. Avec le relief pris ici par les recitativi mais encore certaines aria, conforté encore par le jeu, parfois même physiquement, c’est presque au théâtre lyrique que nous nous trouvons. Aussi les artistes s’adonnent-ils avec joie au divertissement, servi par beaucoup d’esprit. Ainsi du baryton-basse Sreten Manojlović [lire notre critique d’Halka], haut en couleur, volontiers caricatural sans mettre à mal le chant, car si un parfum de pantomime s’est invité, la qualité musicale demeure le principal objet de la performance. Le contre-ténor polonais Kacper Filip Szelążek, qui d’abord intervient depuis le balcon du fond de plateau, face au public (derrière l’orchestre, donc), n’est pas en reste. D’un timbre piquant, il impose au personnage une efficace tonicité efficace. On retrouve le ténor Mark Milhofer, soudain affublé d’oreilles d’âne, ayant recours à des artifices expressifs pour mieux souligner le caractère buffo de l’aventure [lire nos chroniques de La Cenerentola, Tito Manlio, Neues vom Tage, La Calisto, Punch and Judy, Schneewittchen, Der Besuch der alten Dame, Il palazzo incantato, Acis and Galatea, Il ritorno d’Ulisse in patria, Messe en ut mineur K.427 et Passio Domini nostri J.C. secundum Evangelistam Johannem]. À quitter les grotesques, saluons les superbes moments délivrés par le soprano Sophie Junker dont la fraîcheur délicate et la présence, l’un des grands atouts de la soirée, font autorité [lire nos chroniques de Die lustigen Weiber von Windsor, La divisione del mondo et Passio Domini nostri J.C. secundum Evangelistam Johannem]. Un bonheur n’arrivant jamais seul, le plaisir n’est pas moindre à entendre le ténor fort clair de Laurence Kilsby, ici généreusement nuancé, tout en douceur [lire nos chroniques de L’incoronazione di Poppea, La scala di seta et Castor et Pollux]. Enfin, LA voix de ce BWV 201 est incontestablement celle d’Andreas Wolf, basse magistralement projetée, d’une couleur pleine, la ligne vocale étant toujours soigneusement ciselée par cet artiste fort appréciable [lire nos chroniques de Theodora, Krönungsmesse, Die Zauberflöte, Die Gezeichneten, Messe solennelle, Stabat Mater et Solomon].
Après l’entracte, cette bonne équipe donne Zerreißet, zersprenget, zertrümmert die Gruft BWV 205 (Rompez, pulvérisez, fracassez la caverne), dramma per musica conçu pour fêter l’anniversaire du professeur Müller qui enseignait alors à l’Université de Leipzig, et sur un livret du même Picander. C’est le 3 août 1725 qu’eut lieu la première de cette page également répertoriées sous le titre Der Zufriedengestellte Äolus (Éole apaisé). « Bach est l’inventeur de la colère », précise encore Leonardo García Alarcón, qui dirige le concert depuis le clavecin. On a perdu deux solistes à la pause, cet opus n’en conviant que quatre. La vigueur du chœur à quatre voix engage une exécution brillante. Puis, perché sur le tabouret du clavecin, Wolf (Éole) ouvre le feu ! Après son aria s’élève du premier rang de fauteuils de la salle la voix de Milhofer (Zéphyr), ainsi rendue quasi surréelle. Si l’on avait grandement apprécié les soli de flûtes et de hautbois dans la première partie de la soirée, il n’en va pas autrement du violoniste Nathan Mierdl, fort sollicité dans la seconde [lire nos chroniques du 15 février 2020 et du 10 décembre 2021]. On retrouve la saine musicalité de Szelążek (Pomona), avant de découvrir la superbe des cuivres du Philhar’, à l’honneur de cette œuvre. La survenue de Pallas est confiée à Sophie Junker, qui happe l’écoute avec un naturel confondant de maîtrise. Là encore, on applaudit autant la qualité du rendu musical que le je-ne-sais-quoi de proprement théâtral ici déployé – Jouer, dit-on en français, to play en anglais, ce qui n’est ni suonare ni toccare. Le public est aux anges !
BB