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Chroniques
Jules Massenet | Concerto en mi bémol majeur
œuvres d’Emmanuel Chabrier et de Maurice Ravel

Alors que depuis le 22 mars il est dans fosse du Théâtre des Champs-Élysées pour jouer Werther, drame lyrique de Jules Massenet créé en 1892, l’orchestre Les Siècles se produit cet après-midi en concert avenue Montaigne, dans un programme nettement fin de siècle, avec des pages débordant de part et d’autre du XXe. À son pupitre, ce même Pierre Bleuse que nous applaudissions avant-hier à la tête de l’Ensemble intercontemporain lors du concert Anniversaire Boulez | 100 [lire notre chronique du 28 mars 2025].
C’est la Joyeuse marche d’Emmanuel Chabrier qui ouvre ce moment, conçue en 1888. Avec la complicité des musiciens de cet ensemble jouant sur instruments historiquement renseignés, le chef engage l’affaire avec une panache certain. Bien brossée, sa lecture n’accuse aucune négligence musicale, selon l’exigence de qualité et l’efficacité que désormais l’on connaît bien à Bleuse [lire nos chroniques du 8 février 2022, du 14 septembre 2023, des 22 juin et 13 septembre 2024, ainsi que du 6 janvier 2025]. De même en va-t-il de l’interprétation ô combien pétillante de la rhapsodie España, composée en 1883, ici rondement menée.
Après l’entracte, c’est à Maurice Ravel qu’il est rendu hommage, Ravel dont on fête cette année le cent cinquantenaire de la naissance. Si l’on entend régulièrement la Suite de Ma mère l’Oye de 1911 par nos orchestres, ou encore la version originale de 1910, pour piano à quatre mains, il n’est guère courant de pourvoir goûter la plus vaste mouture écrite en 1912 pour le ballet. Voilà ce à quoi s’attelle Les Siècles et Pierre Bleuse ce dimanche, profitant avec gourmandise des timbres, faisant chatoyer le coloris avec un sens aigu de la dynamique. Dans une définition optimale, le jeu bénéficie aussi d’un raffinement louable qui se révèle peu à peu, au fil de chaque tableau.
Avait-on besoin d’une illustration simultanée, par le dessin ? La proposition de Grégoire Pont ne prend certes par le contre-pied de la musique, fort heureusement, mais elle n’apporte rien de plus. Voilà qui pose une question inquiétante : entrerait-on dans une ère où la musique ne saura plus se suffire à elle-même et où il faudra l’affubler systématiquement d’une prothèse visuelle ? On objectera que, destinée au ballet, cette partition peut se prêter à l’exercice. De plus en plus la tendance s’affirme, comme c’était encore le cas la semaine passée où l’on vit une chorégraphie sur Rituel in memoriam Bruno Maderna de Boulez [lire notre chronique du 26 mars 2025] – bienvenue en terre sourdingue ! Les Valses nobles et sentimentales de Ravel, orchestrée en 1912 également pour le ballet, concluent ce rendez-vous, avec autant d’éclat et de puissance que de finesse.
Entre Chabrier et Ravel se glisse Massenet, avec un opus rare, puisqu’il s’agit du Concerto pour piano en mi bémol majeur de 1902, créé l’année suivante. Bertrand Chamayou gagne le plateau, sans qu’il soit d’ailleurs certain qu’il s’exprime sur un instrument d’époque, selon la vocation de la phalange en présence. Ainsi cette page instrumentale se trouve-t-elle mise en regard avec Werther dont nous découvrirons demain la nouvelle production. Après une introduction grand genre, quoique le compositeur y a cultivé une fraîcheur indéniable, le premier mouvement commence véritablement par un solo du piano, Allegro non troppo virtuose. Tour à tour mis en vedette ou accompagnateur de l’orchestre, le soliste assume le relief qu’exige cette œuvre, à tel point que l’auditoire, oubliant que deux chapitres viendront encore, applaudit spontanément après celui-ci. Un quasi-choral pianistique ouvre dans une profondeur presque recueillie le Largo médian, d’un caractère méditatif bientôt redoutablement orné. Airs slovaques, tel est le titre de l’Allegro final, soit une musique de caractère, roborative à souhait. À l’enthousiasme non feint du public, Bertrand Chamayou offre en bis sa propre transcription de Trois beaux oiseaux du paradis, l’une des Trois chansons ravéliennes de 1915, transcription délicate qu’il nous fit découvrir à la Philharmonie récemment, lors de son intégrale piano du compositeur [lire notre chronique du 7 mars 2025] – un bonheur de tendresse.
BB