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Chroniques
Juraj Valčuha dirige l’Orchestre national de France
œuvres de James MacMillan et Dmitri Chostakovitch
Deux œuvres de grande proportion suffisent à construire le programme de cette nouvelle soirée de l’Orchestre national de France, confié à la baguette de Juraj Valčuha, chef slovaque que l’on peut encore qualifier de jeune, que l’on connut en tant qu’assistant de Kurt Masur avec la formation radiophonique ici présente, et qui vient d’être nommé à la tête de l’Houston Symphony Orchestra où il prendra ses fonctions cet automne. Pour commencer, le Concerto pour trombone (2016) que le soliste Jörgen van Rijen a commandé à l’Écossais James McMillan (né en 1959) et qu’il a créé avec Iván Fischer au pupitre du Koninklijk Concertgebouworkest Amsterdam (dont van Rijen est trombone solo), le 20 avril 2017.
In memoriam Sara Maria MacMillan, cette œuvre donnée aujourd’hui en première française est dédiée à la petite-fille de son auteur, disparue prématurément. Conçu en un seul mouvement qui articule plusieurs séquences, le concerto fait surtout appel à la virtuosité de l’interprète dont la principale qualité, selon McMillan lui-même, est de savoir « faire chanter le trombone, en particulier le registre haut comme un cor ténor ou un euphonium » (brochure de salle). L’écriture orchestrale se présente plutôt comme une sorte de traversée de différents climats, tout cela réalisé avec un très grand savoir-faire, compris dans un renouveau de la tonalité mais sensiblement enrichi des acquis récents – la dissonance devient alors un ornement dramatique. Le foisonnement des timbres est sans doute le plus intéressant de cet opus globalement complaisant, avec ses jolies mélodies, sa fugue bien reconnaissable, sa danse répétitive, etc. Deux héritages cohabitent dans cet univers, deux compositeurs qui s’admirèrent : Benjamin Britten et Dmitri Chostakovitch.
Cela tombe bien, la seconde partie du concert est consacrée à la Symphonie en ut mineur Op.65 du Russe, écrite durant l’été 1943 puis créée par Evgueni Mravinski à Moscou, le 4 novembre de la même année, sans susciter d’autre commentaire que celui de l’acide Sergueï Prokofiev conseillant d’en couper les deux tiers ! Après trente-deux minutes concertantes suivies d’un entracte, l’heure-et-un-peu-plus de cette page de guerre, si tragique, révèle la puissance dramatique de la direction de Valčuha dans la finesse d’expression qu’il cultive à chacun de ses aspects. L’intensité de l’Adagio d’ouverture fait entendre un ONF en parfaite santé qui porte admirablement le grand souffle de ce premier mouvement très éprouvant. Alors qu’il vient de s’achever dans un recueillement, et malgré l’indélicatesse d’une partie du public à l’applaudir déjà comme s’il la croyait finie, la symphonie déploie une veine mordante au fil de l’Allegretto insolent qui la poursuit. Qu’est-ce qui se joue ici, si ce n’est tout le côté sordide de cette vie qui continue et s’accommode de tout, même du pire, c’est-à-dire de l’Europe en guerre comme d’une Russie moralement défigurée par Staline ?... La tension est à son comble dans l’urgence de la toccata, Allegro non troppo où le danger siffle. Quand un climax concentrait la catastrophe, le Largo est enchaîné au plus puissant de la crise. La phrase est lourde ; elle véhicule une douleur sans nom qui se déploie dans une passacaille privée de lumière. Le cinquième et dernier mouvement ne contredit en rien l’absence pesante d’optimisme, alors qu’il aurait été de mise de marquer d’un pas gaillard les avancées soviétiques lors du conflit mondial.
Ce temps était de noir désespoir, Chostakovitch ne le cache pas, ce que Juraj Valčuha, sans l’appuyer, respecte parfaitement. Si la première partie de la soirée n’a pas vraiment livré quoi que ce soit d’essentiel, sa conclusion place la seconde à un très haut niveau.
HK