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Chroniques
La forza del destino | La force du destin
opéra de Giuseppe Verdi
Les meilleures choses ont une fin… cette production de La forza del destino marque la fin du mandat de Daniele Rustioni, chef principal de l’Opéra national de Lyon depuis 2017, maison dont il devint le directeur musical en 2022. Les succès obtenus ces dernières années sont nombreux. On pense en priorité au répertoire italien [lire nos chroniques de Simon Boccanegra, Don Carlos, Tosca à Aix-en-Provence, Falstaff, I due Foscari, Adriana Lecouvreur, La fanciulla del West et Andrea Chénier], mais on garde aussi en souvenir plusieurs autres compositeurs merveilleusement servis, comme Berg, Berlioz, Halévy, Massenet, Ravel, Rimski-Korsakov, Strauss, Tchaïkovski ou Wagner [lire nos chroniques de Wozzeck, Béatrice et Bénédict, La Juive, Hérodiade et Manon, Shéhérazade, Le Coq d’or, Die Frau ohne Schatten, L’Enchanteresse et La dame de pique, enfin de Tannhäuser]. Nommé premier chef invité du Metropolitan Opera (New York) c’est-à-dire seconde baguette après Yannick Nézet-Séguin, on lui souhaite pleine réussite outre-Atlantique, tout en espérant le retrouver parfois dans l’Hexagone.
Une fois encore, Rustioni enchante au cours de cette Forza del destino par une direction globalement classique qui n’exclut pas de petites originalités. Ainsi, dès l’Ouverture, certains tempi ralentissent sensiblement pour amener encore davantage de douceur et de délicatesse aux passages les plus doux. À l’opposé, plusieurs tutti majestueux se déchainent lorsque participent les cuivres, l’Orchestre de l’Opéra national de Lyon répondant avec célérité aux demandes de nuances. À noter la très belle introduction à la clarinette de l’air d’Alvaro, au troisième acte, l’instrumentiste venant se présenter au salut final. Il faut aussi louer la bonne tenue du Chœur, préparé par Benedict Kearns, aussi bien dans les nuances forte que piano.
En tête de distribution, la Leonora d’Hulkar Sabirova fait entendre un grave bien exprimé et, à l’autre extrémité, des aigus suffisamment épanouis, en présentant toutefois une hétérogénéité manifeste entre ces deux registres. On remarque également une intonation parfois imparfaite, en particulier dans l’extrême aigu, comme dans l’air Pace, pace mio Dio! à l’acte final, où les notes flottent agréablement mais sans trouver toujours le ton juste [lire notre chronique de Die Zauberflöte]. En Alvaro, le ténor Riccardo Massi paraît démarrer prudemment, voire timidement. La partie grave est confortable et le style élégant, quoique régulièrement accompagné d’effets larmoyants en prenant plusieurs notes par-dessous. Son grand air en début de troisième acte, La vita è inferno ... O tu che in seno agli angeli, est un beau moment, dispensé avec legato et une généreuse réserve de souffle [lire nos chroniques de Tosca à Paris et de La Gioconda]. En revanche, Ariunbaatar Ganbaatar fait sensation en Carlo di Vargas, vrai baryton-Verdi au grain précieux, doté d’un instrument d’une grande densité. Ses airs principaux, Son Pereda son ricco d'onore à l’Acte II et Morir! Tremenda cosa! ... Urna fatale del mio destino au III, constituent les sommets de la soirée. Autre interprète de valeur, Michele Pertusi incarne un magnifique Padre Guardiano. Après plus de quarante années de carrière, la voix est toujours aussi bien émise, le vibrato conserve un dosage idéal et l’artiste paraît avoir gagné en creux dans le registre grave. Maria Barakova se révèle moins constante en Preziosilla, capable de projeter avec force certains aigus mais bien plus éteinte dans le médium ou le grave [lire nos chroniques d’Il viaggio a Reims, Das Rheingold et Boris Godounov]. Paolo Bordogna joue Fra Melitone avec sa vis comica habituelle et une voix solide qui montre sa dynamique pour les passages sillabato [lire nos chroniques de Don Gregorio, L’equivoco stravagante, La fille du régiment et Il barbiere di Siviglia]. Rafał Pawnuk complète en éphémère Marquis de Calatrava [lire notre chronique du Stabat Mater], ainsi que Francesco Pittari en un très bon Trabuco [lire nos chroniques de Rigoletto, Il pirata, Turandot, Les vêpres siciliennes et Attila].
Pour le retour in loco de l’opus verdien après quarante-trois ans d’absence, l’institution a confié mise en scène et scénographie à Ersan Mondtag, annoncé comme étoile montante, du spectacle de théâtre et d’opéra [lire notre chronique de Der Schmied von Gent]. Sa radicalité s’exprime davantage au premier acte, par des ouvrières affairées à la fabrication de munitions de guerre, la poudre étant préparée dans des fûts, pour remplir ensuite manuellement les obus. Nous sommes à l’intérieur d’un palais de hautes colonnes et d’arcades. Des wagonnets passent à l’arrière-plan, chargeant et déchargeant les munitions. C’est d’ailleurs d'un wagonnet que sort Alvaro pour rencontrer Leonora, dans un effet comique qui fait pouffer le public. Calatrava père a tendance aux relations incestueuses, tenant sa fille sur ses genoux, mais on comprend moins les oreilles de lapin des ouvrières… Le deuxième acte situe l’action devant un temple plutôt sud-américain, les costumes très colorés de Teresa Vergho confirmant cette sensation d’entre Pérou et Mexique [lire notre chronique de Die sieben Todsünden]. Des têtes de mort sont dessinées sur les parois et plusieurs crânes ornent les piliers. Des moines défilent, le dernier se flagellant, et la croix au-dessus du bâtiment de droite indique la chapelle du monastère. Au IV, on retrouve ces éléments de décors, cependant modifiés après que l’avant-bâtiment avec balcon a été détruit, et avec plusieurs têtes coupées désormais plantées dans des piques. Mais le jeu théâtral reste conventionnel et même, parfois, stéréotypé. Au préalable, le troisième acte installait l’action dans le camp militaire que décrit le livret, des lits séparés par des rideaux au centre, mais avec quelques rangées de fauteuils en amphithéâtre côté cour. Un traitement visuel pas du tout révolutionnaire et qui ne facilite pas la compréhension de l’œuvre mais s’avère apprécié par le public lyonnais, qui fait bon accueil à l’ensemble des artistes.
IF