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La morte d’Abel, oratorio de Pedro António Avondano
Raquel Camarinha, Sergio Foresti, Ana Vieira Leite, Filippo Mineccia,
Sur la scène de l’Arsenal retentissent les premières mesures de la Sinfonia liminaire à La morte d’Abel, fidèle au principe de succession de trois mouvements, lenteur au cœur, de l’ouverture italienne déjà classique. D’emblée nous savons qu’à la tête de son Divino sospiro qu’il fondait il y a deux décennies, Massimo Mazzeo, que nous entendons pour la première fois, s’ingénie à révéler, par l’équilibre entre pupitres comme par l’inflexion de sa lecture, phrasée avec avantage, l’écriture des timbres de cet oratorio dont il souligne habilement chaque couleur. La délicatesse expressive de la nuance est bienvenue dans cette page méconnue d’un compositeur aujourd’hui oublié.
Qui nous attire donc à Metz ? Un certain Pedro António Avondano, né à Lisbonne au printemps 1714. Fils d’un Génois violoniste virtuose de l'Orquestra da Capela Real de João V (1706-1750), monarque soucieux de modeler le répertoire portugais selon le modèle esthétique italien, l’enfant appris l’instrument auprès de son père et lui succèdera dans le même orchestre. C’est à la cour de José I (1750-1777) qu’il se fait un nom en tant que compositeur, produisant non seulement de la musique instrumentale mais plusieurs pages sacrées, dont un Te Deum. Avec l’opéraBerenice, il se fait connaître en Italie en 1742. Plusieurs ouvrages lyriques s’ensuivront, faisant peu à peu de leur auteur un musicien fort influent dans son pays qui, après le tremblement de terre de 1755, s’employa au renouveau de la confrérie professionnelle Sainte-Cécile dont il était le secrétaire. La catastrophe sismique du 1er novembre engloutit plusieurs de ses partitions manuscrites, si bien que seulement quelques-unes de ses œuvres, conservées dans d’autres bibliothèques d’Europe, parvinrent jusqu’à nous. Bien que très respecté dans les années soixante et soixante-dix – sa farce Il mondo della luna d’après Goldoni (livret bien connu, plusieurs fois mis en musique) fut créée au théâtre de la résidence royale de Salvaterra pour les festivités du carnaval de 1765 –, Avondano tombe en disgrâce avec l’avènement du règne de la Pieuse (Maria I ; 1777-1816). Il s’éteint dans sa ville natale en 1782, à l’âge de soixante-huit ans.
Ancré dans son siècle, La morte d’Abel, qui reprend le livret de Métastase maintes fois illustré, témoigne d’une facture clairement inscrite dans les prémisses du canon haydnien, bien qu’y survivent nombre de galanteries plus rococo que baroques. La narration dramatique est confiée à trois soprani, un alto et un baryton-basse qui tous bénéficient du précieux respect de la balance orchestre/voix par Massimo Mazzeo, au fil d’une lecture soignée. Ainsi retrouve-t-on Sergio Foresti dans le registre grave [lire nos chroniques de La forza del divino amore, Vêpres solennelles de San Marco, La clemenza di Tito, Ariodante et L'inganno felice], mettant sa saine fiabilité d’intonation au service d’Adam dont la seconde aria révèle une douceur bien menée. La partie aiguë de la voix s’est aujourd’hui métallisée au point de revêtir une quasi-ténorisation plus familière dans le répertoire ethnique latin : si cette divergence des caractères vocaux en un même gosier peut surprendre, elle insuffle une vitalité populaire bienvenue dans ce chant. La partie d’Ève est confiée à Valentina Varriale, soprano de grand format au timbre chaleureux. Bien que parfois en délicatesse avec les chromatismes de la seconde partie, elle livre une prestation de belle tenue qui trouve sa plénitude en un aigu munificent.
Le rôle du frère jaloux revient à Ana Vieira Leite qu’elle sert d’un timbre frais et parfaitement incisif. Relativement moins aiguisé dans les récitatifs, son chant fait florès dans les airs, souvent toniques, qui tous révèlent un impact dramatique certain. Quant au gardien du troupeau, bientôt immolé par son aîné laboureur, il échoit à la voix colorée de Raquel Camarinha. Avec une intonation infaillible tant dans les récitatifs que dans les airs, l’artiste conduit admirablement sa partie, avec souplesse et musicalité [lire nos chroniques des 18 et 19 juillet 2012, du 17 juillet 2014 et du 7 avril 2018].
Encore un Ange porte-t-il ici la volonté suprême. L’orgue introduit sa première intervention, surgie de la galerie, dans les hauteurs boisées de l’édifice. Filippo Mineccia se joue sans ciller de la gymnastique d’intervalles de son premier air, redoutablement conçu pour un résultat toutefois peu probant que le contre-ténor parvient à magnifier grâce à une voix plus qu’attachante, à un impact généreux et au charisme qu’on lui connaît [lire nos chroniques d’Erminia, Tancredi, Polidoro e Pastore, de La Calisto, Merope et Agrippina]. Le compositeur a mieux réussi l’air de la seconde partie, avec des chromatismes par lesquels Mineccia appuie habilement l’étrangeté de l’outre-Monde d’où son rôle est propulsé. Diablement musicale, une extrême expressivité signe – sur scène, cette fois – son ultime intervention.
L’on n’est jamais mécontent de découvrir un opus laissé sur le bas-côté par le temps. Avouons cependant l’inappétence où nous laisse celui-ci.
BB