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Le trouvère
opéra de Giuseppe Verdi
Friand de raretés depuis sa création, le Wexford Festival Opera (WFO) met à l’affiche de sa soixante-quatorzième édition non le bien connu Trovatore de Giuseppe Verdi mais Le trouvère qu’il conçut en français. Quelques années après la première de l’opéra italien à Rome en 1853, le compositeur réalisait en effet la version française de l’ouvrage, pour le monter à l’Opéra de Paris en 1857. Le programmer à notre époque n’est toutefois pas une nouveauté absolue, puisque le Festival della Valle d’Itria s’était déjà lancé dans l’aventure en août 1998 (enregistrement disponible sur le label Dynamic), de même que logiquement le Festival Verdi de Parme, vingt ans plus tard, qui le donnait dans l’extraordinaire Teatro Farnese du Palais Ducal [lire notre chronique du 12 octobre 2018]. Les différences entre les versions italienne et française sont relativement minimes, en comparaison des bien plus grands écarts entre, par exemple, I Lombardi alla prima crociata et Jérusalem, ou encore Don Carlo et Don Carlos, la première mouture étant d’ailleurs, dans ce dernier cas, la française et son acte de Fontainebleau supprimé ensuite dans la plupart des différentes variantes italiennes.
Pour revenir aux changements entre Il trovatore et Le trouvère, les ajustements relèvent, en général, d’un travail de dentelle pour faire coller la musique au nouveau livret français d’Émilien Pacini, le compositeur ayant favorisé cette solution à une simple traduction de l’original italien de Salvadore Cammarano. La plus grande, et évidente, nouveauté se situe à l’entame du troisième acte avec l’ajout de musique du ballet, exercice qu’imposait l’institution parisienne, présentant de très nombreuses séquences de styles variés, la plupart teintées d’atmosphère espagnole. Le passage accompagné aux castagnettes laisse d’ailleurs peu de doutes sur l’ambiance hispanique. Ce sont quinze minutes de musique que le WFO fait jouer en ouverture de cet Acte III, au lieu des vingt-cinq disponibles dans la partition originale. Ce choix est sans doute bienvenu, au vu des moyens chorégraphiques à disposition, sensiblement réduits. Trois danseuses exécutent les mouvements réglés par Libby Seward, souvent des pas de danses, parfois des mouvements au ralenti. Mais on arrive assez rapidement à saturation, surtout dans un espace particulièrement confiné.
Car un voile en forme de tente ferme le cadre de scène et limite ces trois danseuses à l’avant, donnant la sensation de se sentir rapidement à l’étroit. Sur ce tissu sont projetés des extraits de films de la Guerre d’Espagne, tandis que Luna, songeur, reste assis patiemment devant une table. Le metteur en scène Ben Barnes a choisi de déplacer l’action au temps de ce conflit, avec du côté nationaliste Luna et ses hommes, de l’autre les bohémiens, dont Manrique et Azucena, en républicains. La scénographie de Liam Doona est plutôt fonctionnelle – un mur de fond décrépi avec plusieurs ouvertures, sur les côtés de grands panneaux ajourés qui pivotent et permettent de changer rapidement les lieux, créant de beaux tableaux, comme la chambre où Manrique et Léonore passent leur dernière nuit d’amour, ventilateur au plafond et escalier pour descendre dans la pièce au fond. Avant cela, Léonore est présente dès la première scène du chœur masculin et du récit de Fernand.
Le premier intérêt de monter Le trouvère serait de goûter au texte dans la langue de Molière, inconnu pour la plupart des auditeurs, mais la distribution ici réunie ne comporte curieusement aucun chanteur francophone et le résultat est globalement décevant du point de vue de la prononciation, avec certains protagonistes qui s’en sortent correctement et d’autres moins bien. La distribution est dominée par les deux rôles principaux de Léonore et Manrique. C’est le soprano américain Lydia Grindatto qui nous séduit le plus, par une voix très musicale, pas forcément surpuissante mais sachant donner un surcroît d’ampleur au cours de certains ensembles. L’instrument est homogène, d’un grave agréable et à l’aigu assuré, l’interprète véhiculant régulièrement l’émotion, dans un français de correcte qualité. Le ténor mexicain Eduardo Niave fait certes entendre un accent, mais qui se laisse globalement comprendre. D’une couleur méditerranéenne, le timbre séduit et les airs doux sont conduits avec élégance, tandis que les cabalettes font preuve de vigueur.
Malgré de gros efforts d’attention, on ne comprend malheureusement pas grand-chose aux mots de l’Azucena de Kseniia Nikolaieva. C’est bien dommage, car les moyens vocaux impressionnent, y compris le régulier appui de voix de poitrine pour émettre les plus graves notes, alors que la partie aiguë se révèle moins précise d’intonation. Il devient rapidement frustrant d’écouter cette chanteuse qui donne l’impression d’émettre des sons plutôt que des phrases, même s’ils gardent, bien sûr, leur intérêt. Le Luna de Giorgi Lomiseli, au fort accent, est moins incompréhensible, mais la voix devient plus fragile dans le registre aigu. Dans un vibrato plus développé, les aigus s’amenuisent en ampleur et se feutrent. Le Fernand de Luca Gallo ne convainc pas davantage, par une insuffisante qualité de français et vibrato qui perturbe la stabilité. À l’inverse, Jade Phoenix semble plus assurée en Inès [lire nos chroniques de La tempesta et de La Ciociara].
Aux commandes d’un Orchestra of the Wexford Festival Opera en bonne forme, Marcus Bosch choisit des tempi parfois surprenants, ralentissant ou accélérant par séquences, dans le premier cas pour se mettre au service des chanteurs. Le WFO Chorus est une bonne surprise, vaillant et bien coordonné, même lorsqu’il se trouve parfois réparti aux différents étages de l’O’Reilly Theatre, et cela dans un français très correct.
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