Recherche
Chroniques
Les Arts Florissants, William Christie
grands motets de Rameau et Mondonville
Quatre grands motets français, composés entre 1713 et 1753, plongeront l’écoute dans les interrogations spirituelles du peuple en guerre comme dans l’évolution esthétique du genre, au fil de ce concert des Arts Florissants, redonné à La Chapelle Royale de Versailles mardi prochain, et dédié à des compagnons tout récemment disparus. La sphère baroque fait ainsi ses adieux à trois de ses figures : le musicologue Jacques Merlet, qui nous quittait le 2 août, et les immenses musiciens que furent Frans Brüggen et Christopher Hogwood, perdus le 13 août et le 24 septembre.
La soirée est ouverte par Quam dilecta tabernacula, louange écrite sur le Psaume 83 vers 1716 par Jean-Philippe Rameau. D’emblée frappe l’exigence déclamatoire, y compris dans la phrase latine. Le relief du chœur fait merveille dans un Cor meum et caro mea très brillant, mais encore dans la discrète solennité de Protector noster et la pompe grave de la conclusion (« …beatus homo qui sperat in te »). Cette excellence chorale ne quittera pas la soirée, qu’il s’agisse de Rameau, toujours – superbe Magnificavit du motet In convertendo Dominus achevé en 1715 et recueillement profond de son verset final (Euntes ibant et flebant) –, ou de Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville dont sont joués Dominus regnavit (1734) et In exitu Israel (1753) dans une interprétation particulièrement inspirée. Du premier, l’on goûte la scansion « addictive » des débuts, les figuralismes passionnants d’Elevaverunt flumina et leurs élans diluviaux, le farouche Gloria, quand du second convainc l’extrême expressivité de Mare vidit, les voix s’instrumentalisant pour peindre ce que Rameau aurait dit avec distance, mais encore le dramatique Quid est tibi et les fins entrelacs « non nobis, Domine non nobis » en fin d’A facie Domini mota est terra, avant la grave déploration Non mortui laudabunt te.
Cinq solistes vocaux sont réunis pour l’occasion. Des deux dessus, Katherine Watson satisfait le plus, avec un timbre égal, une ligne délicatement menée, une intonation toujours sûre au service d’un chant qui paraît simple, naturel. Peut-être plus éclatante, la voix de Rachel Redmond accuse toutefois des soucis de justesse, hormis dans le pastoral Testimonia tua credibilia du premier Mondonville. Oubliant sagement une basse qui ne fait guère l’affaire, saluons la clarté de l’habile Cyril Auvity et, surtout, la singulière lumière de Marc Mauillon – Beati qui habitant hardi en diable (Quam dilecta tabernacula de Rameau) –, fort prégnante en solo (indéniable autorité de Converte Domine captivitatem nostram du second opus ramiste au menu) comme dans les ensembles (Eternim firmavit de Mondonville, par exemple).
Conjuguant avec un soin minutieux l’expression dolente à l’ornementation, William Christie magnifie la rigueur d’écriture de Rameau comme la fougue chantournée de Mondonville, au fil de lectures tant sensibles qu’altières qui jamais ne perdent d’oreille le texte lui-même (Psaumes 83, 92, 113 et 125). In convertendo Dominus connaîtra deux moments de grâce : les délices d’un basson marié à deux hautbois durant Magnificavit Dominus agere nobiscum, savoureuses, et surtout la suspension du geste en attente de son invérifiable écho spirituel, à la fin du cinquième verset. À ses amis Christie rend un triple-hommage par une brève allocution qu’il prolonge dans le bis, premier chœur de l’opéra Castor et Pollux dans son adaptation en Kyrie pour les obsèques du compositeur (1764) – Patrick Cohën-Akenine et ses Folies Françoises joueront ce Requiem au complet le samedi 11 octobre au Château de Versailles, n’oubliez pas.
BB