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Chroniques
Les sentinelles
opéra de Clara Olivares
Créé le 10 novembre 2024 à l’Opéra national de Bordeaux, repris ensuite à l’Opéra de Limoges, Les sentinelles, ouvrage lyrique de Clara Olivares gagne en cette fin de semaine le plateau de l’Opéra Comique, son troisième coproducteur. Réalisé avec le soutien de la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon, ce nouvel opéra en deux actes qu’articule un imposant interlude symphonique est le fruit de la collaboration entre la compositrice franco-espagnole [lire notre entretien de janvier 2023] et la metteure en scène Chloé Lechat signataire du libretto [lire notre chronique de La traviata].
Passé le vrombissement liminaire en fosse, annonciateur de larges accords tenus en pédale, la scène déploie les aventures et mésaventures parallèles de deux couples. Le premier est constitué d’une mère et de sa fille, préadolescente psychiquement atypique (douance, et éventualité d’un TSA) dont on peut suivre, sur le mode dessin animé – vidéo d’Anatole Levilain-Clément –, les séances thérapeutiques ; l’autre est celui de deux femmes qui vivent ensemble depuis un moment déjà. Lorsque la libraire (la maman) rencontre la comédienne (la plus jeune du couple numéro 2), elle est déçue d’apprendre que celle-ci a quelqu’un (une architecte d’intérieur). Puis surgit l’idée d’une rencontre élargie d’où bientôt naît l’installation d’un trouple. Par-delà une trame somme toute petite-bourgeoise que ne désavouent ni la scénographie de Céleste Langrée ni la vêture de Sylvie Martin-Hyszka, le drame psychologique n’évite aucun des stéréotypes susceptibles d’en actualiser le genre. Aussi est-ce à une sorte de vaudeville triste du XXIe siècle que nous assistons ce soir, servi dans une langue dépourvue d’invention que porte une partition nettement moins audacieuse que celles connues par ailleurs à la musicienne [lire nos chroniques de Lebewohl, Spatiphyllum’s Supreme Silence et Vers mes cieux vos regards pleins d’ivresse].
En fosse, l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine n’est pas à mettre en cause. Au contraire, sous la direction fort clairement lisible et toujours avisée de Lucie Leguay, il témoigne pleinement de la facture musicale des Sentinelles, avec un indéniable sens de l’équilibre et de la nuance. De même convient-il d’ici saluer la prestation remarquable des trois chanteuses en présence, à défaut de pouvoir apprécier celle de Noémie Develay-Ressiguier, actrice qui, au rôle de l’enfant sacrifié, ne donne guère qu’un poids de convention paraissant nourri par quelque sitcom de vilaine fabrique.
Au soprano germano-française Camille Schnoor revient la partie de C, la comédienne fantasque et cocaïnomane, dont elle s’acquitte non sans superbe [lire notre chronique d’Ariadne auf Naxos]. Encore retrouve-t-on avec bonheur le mezzo-soprano français d’origine sicilienne Sylvie Brunet-Grupposo qui incarne avec évidence B, la compagne de C, d’une voix sur laquelle le temps semble innocemment glisser sans en ternir les moyens [lire nos chroniques de Salome, Padmâvatî, Tannhäuser, Mireille, Hamlet, Dialogues des carmélites à Saint-Étienne, Toulouse, Nice, Massy, Bordeaux et Lyon, Pelléas et Mélisande à Bruxelles, Aix-en-Provence et Paris, Les pigeons d’argile, Sancta Susanna, Faust à Paris, enfin de Roméo et Juliette]. Le rôle d’A, la libraire également auteure d’une thèse intitulée Les apparences vestimentaires de Louis XV : la composition de la garde-robe du souverain pour l’année 1772 – une private joke du livret,ladite thèse étant référencée en 2012 sous le nom d’auteure Marie Chiozzotto –, bénéficie du chant toujours parfaitement mené du soprano belge Anne-Catherine Gillet [lire nos chroniques de Colombe, L’Étoile, Der Rosenkavalier, Il Trittico, Werther à Paris et Lyon, L’incoronazione di Poppea, Carmen, Cavalleria rusticana, Hänsel und Gretel, Guillaume Tell, Die Zauberflöte à Liège et Marseille, Hippolyte et Aricie, Il ritorno d’Ulisse in patria, Don Giovanni, Le domino noir, Pelléas et Mélisande à Strasbourg, Faust à Liège, Madame Favart, Phryné et Les pêcheurs de perles].
À illustrer son propre travail, Chloé Lechat fait montre d’un savoir-faire incontestable, qui le place dans le cadre du programme zéro achat de l’institution bordelaise.
BB