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Chroniques
Luan Góes et Les Furiosi Galantes
Tempesta e sospiri! – arie d’Händel, Porpora et Vivaldi
Tempesta e sospiri, voilà le titre choisi par Les Furiosi Galantes – Tempête et soupirs, suivi d’un point d’exclamation ! Les Furiosi Galantes est un ensemble instrumental installé à Plaisance du Gers qui dédie son activité au répertoire dit baroque. Durant la pandémie de SARS-CoV-2 que nous avons commencé de subir au printemps 2020, il fut fondé par le contre-ténor brésilien Luan Góes. Les jeunes artistes à le constituer firent leurs classes en des institutions prestigieuses comme le Koninklijk Conservatorium de La Haye, la Haute École de Musique de Genève (HEM), le Conservatorio della Svizzera italiana de Lugano ou encore le Royal College of Music de Londres. Dans le présent programme qu’accueille le Théâtre Déjazet, nous entendrons les violonistes Margherita Pupulin et Pavel Amilcar, l’altiste Jennifer Lutter, le violoncelliste Pablo Tejedor, le contrebassiste Ershad Tehrani, les hautboïstes Beto Caserio et Federico Forla, le bassoniste Nicolas Rosenfeld, le théorbiste Morgan Marquié, avec Michèle Claude aux percussions et Daniele Luca Zanghì au clavecin.
Luan Góes a d’abord suivi une formation de pianiste dans son pays. Il vint ensuite perfectionner sa pratique de l'art vocal boulevard Malesherbes – plus précisément à l’École normale de musique de Paris (ENMP) –, puis à l’HEM de Genève où il fut élève de Nathalie Stutzmann, avant d’atterrir en Italie où il bénéficia de l’enseignement de Sonia Prina. De fait, bien que nous les entendions ce soir pour la première fois en salle, Luan Góes et Les Furiosi Galantes ne nous sont point tout à fait inconnus puisque déjà nous avons apprécié leur talent via le CD Dolce Pupillo à propos duquel notre consœur signait, il y a quelques mois, une recension enthousiaste – un CD précisément réalisé avec le concours du contralto lombard [lire notre critique].
Le menu du jour – Tempesta e sospiri!, donc – alterne arie et pages instrumentales. Ainsi commence-t-il par la Sinfonia d’Agrippina de Georg Friedrich Händel (Venise, 1709), servie par cet effectif de onze musiciens, où la percussion gagne un poids assez inhabituel, que dirige Luan Góes lui-même. Il mène ensuite l’inflexion d’une aria extraite de l’Argippo d’Antonio Vivaldi (Venise, 1717), Se lento ancora il fulmine, empruntant à la partie de Zanaide. D’emblée, la voix impose une riche couleur, une définition idéale du timbre et, surtout, une indéniable personnalité musicale. Quant à l’art, il est agile, parfaitement impacté mais encore sensible. La conduite de l’agrément laisse pantois. Cette remarquable facilité de projection se révèle plus efficace encore dans Torbido intorno al core qu’Ericlea chante dans l’opéra Meride e Selinunte de Nicola Porpora (Venise, 1726). La voix développe ici une plénitude certaine que rehausse un legato simplement splendide, à l’œuvre dans un da capo varié plutôt qu’orné, au style finement ciselé.
Après la Sinfonia d’Alcina d’Händel (Londres, 1735), nouvel emprunt au catalogue du Prete rosso avec Ho nel petto un cor si forte de Giustino (Rome, 1724), une aria confiée au rôle-titre, où l’on admire l’effet mandolinistique des pizz’ associés à la cithare. Cette fois, Luan Góes donne libre cours à un lyrisme généreux. La première partie du concert est conclue par Furibondo spira il vento, air d’Arsace dans la Partenope du Caro Sassone (Londres, 1730) – le théorbiste enfourche alors la guitare. Entre l’assurance de l’aigu la fermeté du grave, le contre-ténor affirme un intervalle et rien qu’un intervalle, salutairement, au lieu de ces vilains vertiges abyssaux dont trop souvent se contentent ses confrères. À juste titre, il livre un da capo proprement extravagant, comme il se doit, auquel son organe se prête sans sourciller.
Passé un bref entracte, Ève Ruggieri reprend le micro dont elle faisait usage avant que sonne la musique et continue de présenter la soirée avec un propos sur ce que pouvait être, aux XVII et XVIIIe siècles, la destinée des castrats du royaume de Naples et des États pontificaux – autrement dit l’extrême gâchis humain alors consommé pour ne donner naissance qu’à quelques carrières fameuses, comme celles d’Annibali, Bernardi, Carestini, Majorano ou encore Broschi, autrement dits Domenichino, Senesino, Cusanino, Caffarelli et Farinelli. Et voilà que retentissent les bourrasques fort polies de Venti, turbini, prestate, tiré de Rinaldo d’Händel (Londres, 1711). Maniant avec une indicible adresse pointes et brosses, pour ainsi dire, Luan Góes signe une interprétation stupéfiante, avec la saine complicité du bassoniste. Tension et mystère commandent ensuite à Gelido in ogni vena, puisé dans Farnace de Vivaldi (Venise, 1727) qui cultive son expressivité directement dans le grain de la voix, superbe, révélant un corps très différent. Succédant à une follia vivaldienne, le compositeur est à nouveau honoré via une aria surgie de Tito Manlio (Mantoue, 1719), Tu dormi in tante pene qui fait encore goûter les qualités artistiques des Furiosi Galantes comme de leur chef-chanteur. chef-chanteur. Il revient à Händel de parachever ce moment : Luan Góes se lance dans l’électrique partie de Néron avec Come nube che fugge dal vento de l’Agrippina. Enfin, pour remercier un public chaleureux, est offert le vertigineux Empi se mai disciolgo, extrait de l’opéra Germanico in Germania de Porpora (Rome, 1732). Bravi tutti !
BB