Chroniques

par katy oberlé

Nabucco | Nabuchodonosor
opéra de Giuseppe Verdi

Teatro Comunale Pavarotti-Freni, Modène
- 24 octobre 2025
NABUCCO ouvre la saison du Teatro Comunale Pavarotti-Freni de Modène...
© rolando paolo guerzoni

C’est par Nabucco que le Teatro Comunale Pavarotti-Freni de Modène ouvre, ce vendredi soir, sa saison nouvelle lyrique – un signal fort, confié à une coproduction ambitieuse associant Reggio Emilia, Lucca et Opera Lombardia : trois institutions, trois énergies conjuguent leur forces artistiques, logistiques et financières dans la réalisation d’un Verdi d’unité et de fierté retrouvée. La salle comble et la tension y est palpable : dès les premières mesures, on sent le public prêt à vibrer à l’unisson du célèbre Va, pensiero.

Sous la direction nerveuse et claire de Massimo Zanetti, l’Orchestra Filarmonica Italiana respire avec un naturel presque chambriste. On en goûte les cordes nettes, les cuivres disciplinés et des percussions débarrassées de toute lourdeur. Le chef privilégie la transparence à la grandiloquence [lire nos chroniques de Tosca, Madama Butterfly et I due Foscari], de sorte que sa lecture transmet sans emphase une ardeur authentique, ménageant des crescendos d’une précision remarquable. Le Coro Lirico di Modena, bien que d’un effectif plus léger qu’à l’accoutumée, déploie une belle homogénéité. Ainsi Va, pensiero s’élève-t-il comme une prière plus que comme un hymne.

La mise en scène de Federico Grazzini [lire notre chronique de Turandot], nouveau partenaire du théâtre, affiche un abord symbolique où s’affrontent violence et compassion. Tirée d’une inspiration biblique et apocalyptique, elle entend montrer la guerre des âmes plutôt que celle des peuples. L’intention est claire, la réalisation honnête : un univers dystopique aux lignes épurées, qui toutefois ne bouleverse guère les habitudes. Les plus indulgents y verront une sobriété signifiante et les autres un classicisme plus ou moins travesti d’une modernité de bon aloi. Une partie du public de la première émet quelques sifflets à l’apparition de l’équipe scénique, vraisemblablement justifiés par l’expression de son goût pour un Verdi différent, mais le climat relativement glauque de la proposition ne provoque rien d’un scandale, qu’on en ait apprécié ou non l’outrance de certaines options.

Le plateau vocal fait mieux qu’assurer l’aventure, il l’incarne avec engagement. L’Abigaille de Marta Torbidoni domine la soirée. Timbre éclatant, aigu souverain et ligne impeccable en font l’une de ces sopranos qui brûlent la scène sans s’y consumer. Elle articule la rage avec autant de netteté que la tendresse. La mort de l’héroïne, contenue et pure, émeut par la sincérité [lire nos chroniques de Medea in Corinto et d’Attila à Fidenza]. Dans le rôle-titre, Fabián Veloz offre un baryton solide, corsé, au grain chaud [lire notre chronique de Cavalleria rusticana]. Moins despote que blessé, il séduit par la dignité du phrasé. Grace à la tranquille autorité de sa voix, réellement inoxydable, Riccardo Zanellato cisèle avec une noblesse d’école ancienne la partie de Zaccaria. Sa prière Tu sul labbro de’ veggenti reste un sommet de la soirée [lire nos chroniques de Luisa Miller à Lyon et à Parme, I puritani, Mosè in Egitto, Macbet, Norma, Don Carlo, Messa da Requiem, Attila à Parme, Simon Boccanegra à Lyon, Liège et Parme, Nabucco et La Juive]. D’un ténor clair et avec une ligne bien conduite, l’Ismaele de Matteo Desole paraît timoré dans l’aigu mais sert la musique avec élégance. Chiara Mogini prête à la captive Fenena une douceur sincère et un chant franc, d’une belle fraîcheur.

Ce grand soir d’ouverture de saison tient donc ses promesses en offrant un Nabucco de bonne tenue, sans outrance ni révolution, où la cohérence musicale l’emporte. Dans un paysage lyrique souvent divisé entre radicalité et tradition, une telle production démontre qu’il est encore possible de faire dialoguer d’un même souffle les talents. Ainsi s’achève ma tournée lyrique de l’automne : plutôt bien, donc.

KO