Chroniques

par gilles charlassier

récital Hervé Billaut et Guillaume Coppola
Chabrier, Falla, d’Indy, Moszkowski et Ravel

Lille Piano(s) Festival / Conservatoire
- 11 juin 2022

Guillaume Coppola est un pianiste qui conçoit avec soin ses programmes comme des voyages poétiques. En témoigne Rêves d’Espagne, celui qu’il a imaginé, à quatre mains avec son confrère Hervé Billaut, et qui s’inscrit dans l’une des lignes thématiques de l’édition 2022 de Lille Piano(s) Festival, avec une traversée dans la manière dont les compositeurs de la fin du XIXe siècle et du début du XXe ont imaginé les enchantements sonores de l’hispanité.

Reprenant le contenu de leur dernier enregistrement [lire notre critique du CD], le récital s’ouvre sur la pulsation nerveuse de la Seguidilla à l’Alameda de Séville de Vincent d’Indy, tirée des Sept chants de terroir Op.73. Le tourbillon des talons et des sentiments s’affirme également dans les deux danses extraites de La vida breve de Manuel de Falla, transcrites par Gustave Samazeuilh. La première, Allegramente e vivo, molto ritmico, condense un mélange d’impatience inquiète et de pittoresque, dans une sève percussive résumée par la traduction pianistique, ce que ne dément pas la seconde, Allegro ritmico e con brio, où la matrice est autant rythmique qu’harmonique. Le duo sait équilibrer avec délicatesse le sens du caractère et la fluidité de l’évocation.

On retrouve ces qualités dans la version originale pour piano à quatre mains de la Rapsodie espagnole de Maurice Ravel. Dans une tenue et un tempo modérés, Prélude à la nuit distille ses voiles de mystère et d’onirisme, magnifiés par une élégance naturelle. Malagueña exhale des souvenirs de fandango en un dessin souple, tandis que la Habanera, seul numéro à provenir d’un recueil antérieur (Sites auriculaires, écrit en 1895, douze ans avant les trois autres du présent cycle), fait entendre un balancement chaloupé, dans une même alchimie entre sensualité et réserve. Feria fait éclore une ivresse de couleurs et brillant, en un élan qui n’oublie jamais la lisibilité inspirée de l’articulation et du phrasé, jusque dans la coda enlevée.

C’est une autre version de cette danse fétiche qu’est la habanera que fait découvrir la page puisée dans les Pièces à quatre mains op.130 de Mel Bonis, languissant dans une torpeur nonchalante mais savoureuse, avec laquelle contraste une autre miniature, de jeunesse cette fois, de la compositrice française, Los gitanos, Op.15, à la facture nettement plus proche de l’archétypale España d’Emmanuel Chabrier, dans la transcription d’André Messager qui en résume l’entrain généreux – idéale conclusion pour un croisière hispanophile, après une ultime rareté, la Nouvelle danse espagnole Op.65 n°2 de Moritz Moszkowski (1854-1925), Andante con moto aux allures de marche de salon un rien archaïsante et discrètement teintée de méridionale mélancolie.

GC