Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Lilya Zilberstein
œuvres de Chausson, Czerny, Rachmaninov et Ravel

Auditorium / Maison de la radio et de la musique, Paris
- 9 mars 2025
Lilya Zilberstein joue Chausson, Czerny, Rachmaninov et Ravel à Paris
© dr

Avec plaisir, nous retrouvons, cet après-midi, la pianiste russe Lilya Zilberstein en récital en l’Auditorium de la Maison de la radio et de la musique. À son programme, elle affiche l’Opus 32 de Sergueï Rachmaninov, musicien qu’elle joue beaucoup depuis toujours, une rareté du Viennois Carl Czerny, enfin deux recueils français, l’un signé Ernest Chausson, l’autre Maurice Ravel. Pour commencer, les Valses nobles et sentimentales de Ravel qui, avant-hier, ouvraient la seconde partie de l’intégrale jouée par Bertrand Chamayou à la Philharmonie [lire notre chronique du 7 mars 2025]. De ces pages de 1911, Lilya Zilberstein livre une interprétation nettement plus phrasée que celle entendue alors, n’entravant pas la traversée d’un rubato fort suave, en adéquation avec la sonorité moelleuse favorisée par l’artiste. Ici, nulle rigidité, mais, au contraire, une rondeur toute générosité sur laquelle se détache un aigu soigné. Cette lecture, par-delà Ravel, pour ainsi dire, magnifie le genre, et c’est bel et bien la danse qui triomphe, avant l’énigme de l’Épilogue, projetée dans un enveloppant secret.

Quatorze ans avant ces valses, les Quelques danses Op.26 de Chausson, l’aîné de vingt ans de Ravel, étaient créées par l’Alsacien Édouard Risler, alors répétiteur au Bayreuther Festspiele. « Il y a surtout cet affreux Wagner qui me bouche toutes les voies », écrivait le compositeur français pendant la conception de son Roi Arthus ; « je fais l’effet d’une fourmi qui rencontre une grosse pierre glissante sur son chemin ». Il vient cependant à bout des quatre pièces qu’il dédie à Henriette de Bonnières, connue aujourd’hui non en sa qualité d’épouse du critique et romancier Robert de Bonnières mais par le portrait qu’effectuait Auguste Renoir en 1889, une toile conservée dans la collection du Petit Palais. Dès Dédicace s’impose un caractère dépressif à demi-sourire qui n’a rien d’une certaine représentation mondaine qu’on put se faire de la musique Belle Époque. Au Calme succède l’Andante mélancolique de la Sarabande où les mains se croisent en une plainte discrète. Nous sommes assurément encore dans la période romantique, avec cette œuvre, ce qui n’échappe pas à Lilya Zilberstein dans l’articulation toute fauréenne de l’ultime trait, une phrase descendant vers l’extinction. Cette souplesse chantante œuvre de plus belle dans la Pavane, indiquée sans hâte, et qui gagne ici un ambitus de nuance servant généreusement son lyrisme. Rien d’éthéré à la Forlane conclusive, déployée en un flamboiement virtuose par une musicienne inspirée.

À peine connu par chez nous à travers quelques cahiers d’études qui, bien qu’encore disponibles à l’édition, ne sont plus guère fréquentés, Carl Czerny est prisé par les professeurs russes qui trouvent dans son œuvre à enseigner bien des aspects techniques tant nécessaires à la rigueur et à la fiabilité qu’à la fantaisie, quand bien même celle-ci demeurera strictement circonscrite à certaines limites. Ainsi découvrons-nous aujourd’hui, et précisément sous les doigts d’une pianiste russe, Introduction, variations et rondeau de chasse Op.202, vraisemblablement écrit entre 1820 et 1830, puis publié en 1831 chez Simon Richault, à Paris. Si la démonstration est exemplaire, on ne saurait dire de cette musique, avec ses interminables variations et son écho da caccia quasi militaire, qu’elle présente grand intérêt, avouons-le, à moins, peut-être, de la jouer sur la copie d’un pianoforte contemporain de sa composition, dont les possibilités de couleur lui rendront grâce sans que le trop grand format du piano de concert d’aujourd’hui en étouffe les charmes éventuels.

Après l’entracte, Lilya Zilberstein se lance dans les Treize Préludes Op.32 de Rachmaninov (1910). Dès l’Allegro vivace en sol majeur, sommes-nous gênés par une pédalisation trop copieuse dont il n’est pas certain qu’elle soit raisonnablement respirée, ce qui brouille grandement l’écoute. En revanche, l’Allegretto en si bémol mineur bénéficie d’un abord plus subtil, bien que notre préférence aille vers un jeu perlé. De même sommes-nous rien perdus dans l’Allegro vivace en mi majeur (III), au rendu si personnel qu’il déjoue la mémoire. Avec l’Allegro con brio en mi mineur se confirme le sentiment que les préludes rapides et véhéments vont moins bien à l’artiste que les méditations plus intérieures. Indiqué Moderato, le Prélude en sol majeur Op.32 n°5 satisfait d’ailleurs plus nettement, contrairement à la lourdeur concertante qui déjoue le suivant, Allegro appassionato en fa mineur plutôt malmené. Après avoir tracé un chemin sensible au Moderato en fa majeur, servie par une évidente sensibilité, rassérénante, Lilya Zilberstein heurte le Vivo en la mineur puis l’Allegro moderato en la majeur sans rendre perceptible quelque hiérarchie que ce soit dans l’écriture musicale. C’est dans le Lento en si mineur (X) que nous retrouvons le meilleur de la musicienne, encore au sommet dans le choral en demi-teinte de l’Allegretto en si majeur et jusque dans l’exquis Allegro en sol# mineur. Ces moments précieux sont balayés par un Grave en ut bémol majeur (XIII) qu’elle rend lourdement brahmsien et franchement laborieux.

Un moment assez inégal, donc, dont garder en souvenir la lecture de l’Opus 26 de Chausson.

BB