Recherche
Chroniques
résidence Kaija Saariaho, dernière soirée
Eckehard Stier dirige l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg
La saison de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg s’est articulée en deux résidences importantes : celle de la violoniste Isabelle Faust, conjuguant les concerti aux rendez-vous chambristes, celle de la compositrice Kaija Saariaho qu’inaugurait cet automne l’exécution de L’aile du songe par le flûtiste Mario Caroli [lire notre entretien] et Baldur Brönnimann au pupitre [lire notre chronique du 24 septembre 2013]. Après Émilie Suite (2011) que chantait ici-même Solveig Kringelborn sous la battue de Marko Letonja [lire notre chronique du 11 octobre 2013], cette soirée conclusive renoue avec l’époque du concerto pour flûte précédemment cité, puisqu’Orion fut conçu durant les mois qui suivirent. En cette année 2002, Saariaho fait une sorte de halte dans son propre univers créatif en prolongeant par Prospero’s Vision un cycle de cinq mélodies commencé en 1992 (The Tempest Songbook, achevé en 2004), en écrivant la version avec piano des Quatre instants pour soprano ainsi que son orchestration [lire notre critique du CD et nos chroniques du 14 mai 2005 et du 13 avril 2011], enfin en adaptant pour quintette L’aile du songe (Terrestre pour flûte soliste, violon, violoncelle, harpe et percussion) [lire notre chronique du 10 avril 2011]. Comme une échappée dans ce regard porté sur son atelier surgit alors Orion, vaste pièce d’orchestre (en trois mouvements) d’environ vingt-cinq minutes – tout récemment donnée par l’Orchestre national de Lyon lors du quatrième concert qu’il consacrait à l’œuvre de la musicienne finlandaise [lire notre chronique du 17 avril 2014] – dont on trouvera brève description dans nos colonnes à propos de sa création française par l’Orchestre de Paris [lire notre chronique du 13 mars 2008].
Memento mori fait d’emblée entendre que l’OPS s’est désormais fait à cette écriture. La régularité du « flottement » énigmatique de ce premier mouvement est proprement fascinante, dans le relief des deux harpes. Eckehard Stier choisit de noyer la récurrence des altos dans les événements heureux qui peu à peu surviennent, sur un continuum en apparence étale. Ce foisonnement sonore extrêmement touffu bénéficie d’une lecture minutieuse qui laisse en goûter les timbres jusqu’au plus fort du tutti, y compris dans la vigoureuse section rythmique. L’épisode médian témoigne d’un art consommé de la couleur qui caractérise d’assez près la facture de Kaija Saariaho (dessins de harpe, du violoncelle, de la flûte – « ses » instruments, au fond). De Winter Sky – dont nous découvrions ce printemps l’extension [lire notre chronique du 7 avril 2014] s’élève une élégie violonistique en questionnement (excellente Charlotte Juillard), mélopée qui voyage de pupitre en pupitre sur une pédale d’orchestre gagnant peu à peu en épaisseur. L’emphase n’omet pas de confier ses moments les plus fins au violoncelle solo et à des fins de souffles flûtistiques à la Japonaise. La prolifération rythmique du dernier mouvement, Hunter (La chasse), alterne des respirations méditatives, contrariées par des reprises d’ardente rage. « …et Orion disparaît dans le vide sidéral » nous disent les notes de programme de Stéphane Roth : je vous invite à lire les écrits de la compositrice qu’il a réunis aux Éditions MF sous le titre Le passage des frontières.
Ayant assisté hier soir à la création française de son Maan varjot (Ombres de la terre) pour orgue et orchestre [lire notre chronique de la veille], Kaija Saariaho vient saluer les instrumentistes et le public strasbourgeois. Grand succès lui est réservé.
En préambule était donné le Concerto pour piano en si bémol majeur Op.83 n°2 de Brahms, par Kirill Gerstein en soliste. Avec une sur-articulation assez pesante, une pédalisation brouillonne et un phrasé volontiers ampoulé qui cependant ne chante guère, le pianiste laisse dubitatif. En revanche, la bonne santé de l’orchestre alsacien s’affirme une nouvelle fois. On apprécie la tendresse toute mélancolique des cordes (Allegro appassionato, notamment) et surtout le lyrisme soutenu d’Alexander Somov au violoncelle, magnifique (Andante). L’option brucknérienne du chef convainc moins. La musique de Tchaïkovski lui convient mieux : son interprétation de Roméo et Juliette (dont le choral de bois reste en oreille) gagne en intensité et en ciselure, bien qu’en demeurant trop gentiment brillantinée.
BB