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Rundfunk Sinfonieorchester Wien dirigé par Bertrand de Billy
création du Concerto pour clarinette d’Herbert Villi
Salzbourg, c'est Mozart… et Salzbourg 2006, c'est encore plus de Mozart ! Pour la dernière année de son mandat à la tête du prestigieux festival et pour célébrer les deux-cent cinquante ans de la naissance de l'enfant prodige, l'intendant Peter Ruzicka offre au public une intégrale scénique (sans précédent dans l'histoire de la manifestation) des vingt-deux opéras (et assimilés) de Wolfgang Amadeus Mozart. C'est donc l'année de tous les records : deux cent quarante-deux mille tickets en vente (contre trente-huit mille en 2005), cent cinquante solistes (contre environ soixante-dix lors une année normale), vingt-quatre orchestres, six cent journalistes, etc. Restaurateurs et hôteliers se frottent les mains, mais les commentateurs raillent les carences d'une telle intégrale qui, sur le papier, donne un sentiment mitigé.
Certaines partitions de la toute jeunesse du compositeur, comme Il sogno di Scipione ou Ascanio in Alba, ne sont pas impérissables, tandis que des chefs d'œuvres de ses contemporains croupissent dans l'oubli général. La plus grosse pique lancée contre l'intendant concerne la qualité des interprétations proposées. Un tel défi n'est pas possible avec uniquement des orchestres et des chanteurs de prestige ; dès lors, le festival a loué à ou coproduit avec des opéras de la province germanophone son intégrale. Aux côtés des Wiener Philharmoniker et de la Camerata Salzburg se retrouvent donc, les orchestres des théâtres de Klagenfurt et Mannheim, ainsi que la Jeune Philharmonie et l'Orchestre Universitaire de Salzbourg. Le principe n'est en soi pas condamnable, car célébrité ne rime pas forcement avec qualité, mais au regard du prix des places – deux cent euros en première catégorie pour un opéra de jeunesse joué dans la grande salle de l'université, trois cent soixante euros pour Lucio Silla ou La clemenza di Tito au Manège des rochers la Felsenreitschule [lire notre chronique du lendemain] –, le spectateur est en droit d'attendre le meilleur du meilleur. Nikolaus Harnoncourt ne s'est d'ailleurs pas privé de s'épancher de commentaires peu aimables sur la qualité moyenne d'un projet dont il est l’un des piliers. Pourtant, l'intendant peut renvoyer ces remarques en avançant un immense succès public, puisque le cap des deux cent quarante mille tickets vendus sera dépassé.
Salzbourg n'est pas qu'un festival d'opéra, mais une manifestation « généraliste » proposant de nombreux concerts qui rendent également hommage à Mozart. Invité chaque année, le Rundfunk Sinfonieorchester Wien (RSO) et son chef Bertrand de Billy offrent en ouverture la Symphonie en ré mineur K.45 (n°7). Composée en 1768, elle est la première des symphonies de Mozart à présenter des parties notées pour les timbales et les trompettes, alors que son mouvement initial sera repris dans l'opéra La finta semplice. L'interprétation est parfaite, les tempi sont fluides et les dynamiques dosées à la perfection. Plutôt « français », ce Mozart ne s'appesantit pas ni ne surcharge d'intentions un matériau encore à l'état brut.
Agrandi par la Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor et les solistes Martina Janková, Marie-Claude Chappuis, Xavier Mas et Franz-Josef Selig ainsi que du récitant Gerd Böckmann, l'orchestre donne après l’entracte la rare et brève musique de scène de Thamos, König in Ägypten K.345. Rédigée d'après un livret du haut fonctionnaire et franc-maçon Tobias Philipp von Gebler, cette musique, remaniée à de nombreuses reprises, n'est, par son sujet et ses thèmes, pas éloignée de Die Zauberflöte. Magnifiquement ciselée et d'une grande finesse d'écriture, elle force l'admiration. La luxueuse équipe réunie par le Salzburger Festspiele livre une prestation de haute volée.
Entre ces deux pièces, la soirée voyait la création du Concerto pour clarinette et orchestre du compositeur autrichien Herbert Villi par l'exquise Sharon Kam. Né en 1956, Hebert Villi est une figure de la vie musicale autrichienne ; ses compositions sont créées par des artistes de la trempe de Claudio Abbado, Christoph von Dohnányi, Seiji Ozawa et Aurèle Nicolet. Cette nouvelle œuvre prend place dans le cadre d'un cycle intitulé Montafon dont elle est la troisième partie. Elle succède à un Double concerto pour flûte et hautbois, à un Concerto pour trompette et précède une vaste pièce pour orchestre dont les modalités d'instrumentation restent encore à déterminer.
Inspirée par le jeu et la personnalité de Sharon Kam, cette partition en trois mouvements est fort séduisante. L'écriture explore toutes les possibilités techniques de l'instrument soliste qui dialogue avec un orchestre coloré et virtuose. Certains alliages instrumentaux, comme le mariage des cordes, des percussions à clavier et de l'accordéon, s’avèrent réussis. Saluons également la multiplicité des sources rythmiques qui magnifient cette partition, dont le jazz et la valse. Bien secondée par un orchestre attentif, la clarinettiste se joue des difficultés. Un chaleureux accueil du public récompense le travail du compositeur et la prestation des artistes.
PJT