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Chroniques
Salome, opéra de Richard Strauss (version de concert)
Marc Albrecht dirige l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg
Quelques mois avant sa prochaine tournée allemande (mi-novembre) qui promènera un programme d'origines croisées (les Germains Korngold, Beethoven, Mahler, et les Français Ravel et Dutilleux), l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg exporte la Salome qu'il donnait in situ la semaine dernière. Outre que Marc Albrecht s'offre une distribution de choix, le chef allemand, actuel directeur musical de la prestigieuse formation [lire nos chroniques du 29 septembre 2005 et du 7 juin 2003], s'ingénie à faire entendre chaque détail d'un matériau riche dont, la plupart du temps, l'on perd de nombreux raffinements, dans « l'enfouissement » habituel. Ce soir, la partition de Strauss se révèle comme rarement, sans que ce soin nuise à la conduite dramatique de l'exécution.
Car il s'agit bien d'un opéra, Marc Albrecht ne l'oublie pas une seconde. C'est au service d'à peine moins de deux heures haletantes de théâtre qu'il met son art, livrant une vision raisonnablement contrastée de Salome, toujours à l'écoute des voix et, surtout, du texte. En démiurge, il en façonne les climats, en dessine les illustrations plus directes, menant la fameuse danse avec une sensualité sauvage qui aime comme on se bat. Tout cela est rendu possible grâce à la réponse précise et volontaire d'instrumentistes qui ont aujourd'hui prouvé à ceux qui en doutaient que leur orchestre n'a pas perdu ses couleurs. De fait, l'absence de mise en scène n'est pas un handicap, la conduite du drame stimulant vigoureusement l'imagination de chacun.
C'est avec plaisir que l'on retrouve sur ce plateau le couple mythique formé par Chris Merritt (Herodes) et Anja Silja (Herodias). Particulièrement en forme, le ténor cisèle délicieusement son texte, tandis que sa partenaire laisse exquisément échapper de somptueux cris de harpie de la poitrine de la mère de l'héroïne. Le prophète qui sourd de l'escalier latéral d'une salle Pleyel ingénieusement optimisée n'est autre qu'Alan Titus, immense Jochanaan dont l'autorité s'impose d'emblée. On remarque également les prestations du mezzo-soprano Hanne Fischer, jeune page irréprochable, et des deux soldats, Andreas Kohn et Andreas Hörl, mais surtout le Narraboth élégamment phrasé de Wookyung Kim : clarté du timbre, évidence de l'émission vocale, lumière de l'aigu et saine conduite des attaques, autant de qualités qui invitent à placer de vrais espoirs en ce jeune ténor coréen.
Enfin, alors que le public attendait Nina Stemme, c'est Janice Baird [photo] qui chante le rôle-titre. Si les premiers pas semblent crispés, voire raides, elle prend assez rapidement ses marques, libérant bientôt la plénitude qu'on lui connaît, toujours avec intelligence et musicalité, incarnant une sensualité diablement excitante, plus épicée que suave. La présence crève l'écran, la concentration pointe le sens de chaque phrase comme rarement, ravissant l'écoute par son irrésistible expressivité.
BB