Recherche
Chroniques
Samson
tragédie lyrique de Jean-Philippe Rameau
Dévoilé au Festival d’Aix-en-Provence puis repris ce printemps à l’Opéra Comique, le spectacle se présente comme un pastiche d’ouvrages lyriques du maître dijonnais d’après un livret de Voltaire, censuré et demeuré, du coup, presque inconnu. Premier projet artistique associant ces deux astres des Lumières, Samson date de 1734. Tel un serpent de mer des bibliophiles baroqueux, la tragédie lyrique en cinq actes avec prologue n’a pas manqué d’inspirer les spécialistes Raphaël Pichon et son ensemble Pygmalion à l’imaginer, réécrire et moderniser en étroite collaboration avec Claus Guth, qui propose un scénario original et une excellente mise en scène très personnelle.
Dans un magnifique décor unique d’Étienne Pluss, représentant en détail et avec réalisme un immeuble éventré, se déroule un complexe retour sur la vie légendaire de Samson, sous un jour actuel, dans les élégants costumes d’Ursula Kudma. Sur les lieux encore fumants de la spectaculaire fin du héros, alors investiguée comme celle d’un terroriste mort en kamikaze, sa vieille mère – l’actrice Andrea Ferréol – survient pour raconter avec dignité le fils né comme disparu sous le signe d’un puissant mystère. À cette strate théâtrale s’ajoute un effort de scénarisation poussée pour parvenir à une forme contemporaine d’opéra, nouvelle et charismatique, grâce à des effets spéciaux très réussis (design sonore et jeux de lumière). Ainsi qu’au cinéma ou dans une bande dessinée, l’histoire de Samson est traitée de manière épisodique et assez simple – extraits de la Bible à l’appui, toutefois –, ceci sans négliger de dépeindre plus largement les oppositions frontales entre Philistins et Hébreux en des combats chorégraphiés avec précision. La proposition impose sa beauté hybride entre vivant et ruines, c’est-à-dire entre, d’une part, la détresse maternelle dans la dévastation ou la nostalgie et, d’autre part, l’évocation des cuisants souvenirs amoureux ou la reconstitution des prouesses de jeunesse.
Le grand chœur d’entrée Tribus captives (qui devint, en 1737, Que tout gémisse de Castor et Pollux,) illustre à merveille comment les forces orchestrales et chorales de Pygmalion se mêlent au mieux pour introduire l’action. Habilement contrastées, les lumières de Bertrand Couderc ouvrent le bal des esprits faits corps, ainsi que l’élévation d’un ange à la prophétie bien déroulée. Puis, en une biographie succincte qui suit un ordre chronologique, les exploits du petit Hercule au soulevé de poutre – son arme, plus tard, face aux Philistins – nous valent la douceur descriptive, en accords passant langoureusement, d’un air tendre retrouvé dans Les fêtes d’Hébé (ballet héroïque, 1739). Toujours parmi les gravats du temple dévasté, la ruée du jeune adulte est ensuite saluée avec plus de superbe encore par l’ouverture de Zoroastre (1749) dont l’air Osons achever de grands crimes est entonné par la basse Marc Palazzi avec une solide autorité.
Face à ce roi des Philistins, le robuste baryton Jarrett Ott se défend comme un lion dans le rôle-titre [lire notre chronique de The Exterminating Angel]. Sa première longue diatribe révèle une bête de scène à la hauteur de la maestria audiovisuelle finement démonstrative de Guth. Le brillant de l’harmonie ramiste ne laisse aucun doute avec l’adjonction de Timna, personnage amoureux que l’expressif soprano Julie Roset, clair et doué pour les ornements, maîtrise dans ses quelques airs [lire nos chroniques de Combattimento, L’Orfeo, Acis and Galatea, Titon et l’Aurore, L’incoronazione di Poppea et Médée]. Nourrie de riche musique (Les Surprises de l’Amour, ballet de 1757), la scène de l’hymen culmine en athlétiques explosions chorégraphiques. La fête tourne court, néanmoins, après un malaise tonitruant de Samson, au charme vocal vibrant et grave, puis fort tonique dans La colère du trahi. Le félon est campé par le ténor Laurence Kilsby (Elon) au chant hautement ondulé [lire nos chroniques de La scala di seta, Castor et Pollux et Der Streit zwischen Phoebus und Pan]. Dans le même registre, Ott se montre en état de grâce dans Suspends ta brillant carrière (connu dans Dardanus, 1739). Pour clore idéalement la première partie de soirée, le chœur des prêtres, très apprécié dans Zoroastre, résonne avec une grande originalité.
Après l’entracte, la Dalila d’Ana Maria Labin (soprano) ne déçoit pas les attentes, virtuose et au bord de la frénésie [lire nos chroniques de King Arthur et de la Trilogie Da Ponte]. Après l’âpre duo, la rude exploitation par Achisch pour obtenir les mèches du combattant et puis, presque soudaine, la mort en-chantée en se taillant les veines (splendide Tristes apprêts de Castor et Pollux), il revient à la narratrice, repliée sous le poids des années et du deuil, de rendre hommage aux défunts en allumant une bougie devant laquelle se balancer légèrement, comme roule d’avant en arrière sa longue vie. Et si, cantonnée à une table de banquet, la destruction du temple par l’aveugle humilié manque de verve spectaculaire, la toute-puissance du dénouement revient au chœur, personnage central d’un drame éteint comme par l’ultime vilain, d’un coup de théâtre comme de pétard, assez loin, donc, de la plume salvatrice et vertueuse de Voltaire.
FC